Enfants d’Abraham, avez-vous perdu la tête ? Fils d’Isaac et d’Ismaël, frères issus du même père, n’avez-vous pas honte ? Le Hamas a massacré, Israël répond par un massacre à Gaza, le conflit s’étend à l’Iran, vous vous entretuez dans la spirale maudite d’une vengeance perpétuelle, et tandis que votre père était l’apôtre de l’unité, vous devenez chaque jour un peu plus, devant la face abasourdie des peuples de la Terre, les tristes champions de la discorde et de la haine.

Qu’avez-vous donc fait de votre héritage ? Comment pouvez-vous être ainsi sacrilèges de l’enseignement de paix qu’il vous a transmis et qui devrait vous convoquer, vous élever, vous faire tout de suite lâcher vos armes ? Et que signifie, pour notre monde humain tout entier, cette destruction tragique du trésor d’Abraham par ses propres héritiers ?

Celui-ci, Abram devenu Abraham et Ibrahim, est, en tant que « père d’une multitude de nations », selon la formule consacrée, la figure symbolique majeure d’une fraternité universelle, que ses enfants juifs, chrétiens, musulmans ont la responsabilité de faire vivre, non pas seulement entre eux, mais avec l’humanité tout entière. Abraham est ainsi le nom d’une fraternité sans frontières entre tous les hommes de tous les peuples, d’une unité du genre humain qui fait partie lui-même de l’unité d’une réalité traversée par une même lumière transcendante. Comme si nous étions tous mystérieusement autant de visages de ce qui est au-delà de tout visage. Selon l’héritage du patriarche, la fraternité des êtres humains est fondée dans cette fraternité sublime de la nature, du vivant, du cosmos, et du cosmos avec ce qui, l’ayant fait surgir, le dépasse.

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Que sont, à cet égard transcendant, nos petites fraternités religieuses, nationales, culturelles, etc. ? De simples cristallisations particulières de la fraternité universelle. Des expériences peut-être plus accessibles à nos esprits limités, à nos consciences pas encore éveillées à la perception d’une fraternité plus vaste… Mais au lieu d’aller vers cet élargissement de notre sens de la fraternité, voilà qu’aujourd’hui, comme si souvent dans l’histoire, nos petites fraternités deviennent les pires ennemies de celle qui est immense et qui réunit spirituellement les êtres de l’univers ! Et celle-ci nous semble désormais d’autant plus utopique, irréelle, que nos regards sont dispersés par nos divisions, égarés par l’absolutisation de nos différences seulement relatives. Voilà ce dont ce conflit israélo-palestinien est le symbole pour l’humanité contemporaine : notre incapacité à voir l’unité et l’harmonie entre l’un et le multiple, le même et l’autre. Nous avons perdu l’art de tisser nos différences car en nous, désormais, l’œil de l’unité s’est fermé.

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