Si incroyable que cela puisse paraître, des enfants en Syrie ont grandi dans les prisons de Bachar Al-Assad sans jamais voir le ciel. Le regretté et charismatique Michel Kilo (1940-2021), opposant de longue date au régime d’Al-Assad, avait partagé l’histoire déchirante d’un enfant qu’il avait croisé en prison, une histoire qui l’a hanté toute sa vie. Cet enfant de 5 ans vivait avec sa mère dans une cellule d’isolement, sans fenêtre, coupé du monde extérieur. Né et élevé dans les prisons d’Al-Assad, il ne savait ni ce qu’était le ciel, ni ce qu’était un oiseau.
Un geôlier avait secrètement demandé à Michel Kilo, lui-même emprisonné, de venir raconter une histoire à cet enfant. En écrivant ces lignes, je ne peux retenir mes larmes pour cet enfant, mais aussi pour Michel, mort le 19 avril 2021 à Paris, loin de la Syrie qu’il aimait tant. Michel Kilo avait demandé au geôlier de ne plus l’emmener voir cet enfant : la douleur était trop forte, plus intense que la torture, plus insupportable que l’emprisonnement et les privations. Cette souffrance n’a jamais quitté Michel. A chaque fois qu’il évoquait cette histoire, ses larmes coulaient, des larmes chargées d’amour pour la Syrie et les Syriens.
Dimanche 8 décembre, en ouvrant les cellules de la prison de Saydnaya, des femmes et leurs enfants ont été retrouvés. La plupart de ces enfants sont nés des viols commis par les geôliers. Et j’ai tout de suite pensé à cet enfant à qui Michel Kilo a essayé de conter une histoire, sans jamais y arriver, comment raconter une histoire à un enfant qui ne sait pas ce que sont le ciel et les oiseaux ? Chaque fois qu’une prison est libérée en Syrie, ce sont les mêmes scènes : des hommes et des femmes enfermés depuis plusieurs dizaines d’années, parfois même jusqu’à quarante ans, sans avoir fait l’objet d’un jugement. Parmi eux, des Syriens de toutes confessions et origines : chrétiens, druzes, alaouites, kurdes, sunnites – mais aussi des Libanais, des Palestiniens, des Jordaniens…
J’aurais aimé que Michel soit là et assiste à ce moment, à notre liberté retrouvée, lui, le chrétien qui se battait depuis les années 1970 contre la tyrannie des Al-Assad et pour qui sa confession n’a jamais été au cœur de son engagement pour la Syrie. Il a toujours été un Syrien avant toute considération idéologique et confessionnelle, il est le fruit d’un métissage de la société syrienne. Fils de la ville de Lattaquié, il côtoie et fraternise avec des alaouites, des sunnites, des chrétiens… Sa confiance absolue dans la société syrienne ne l’a jamais fait douter ni renoncer, il a porté le flambeau de la liberté jusqu’à la mort.
Il vous reste 51% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.