Ce n’est pas la première fois que des espaces en ligne consacrés aux jeux vidéo servent d’outils de propagation de discours violents et haineux. Jeudi 14 novembre, l’Anti-Defamation League (ADL), principale organisation de lutte contre l’antisémitisme aux Etats-Unis, a publié un rapport documentant l’omniprésence de contenus antisémites et extrémistes sur la plateforme de vente de jeux vidéo Steam et plus précisément sur ses pages communautaires par le biais desquelles ses utilisateurs peuvent discuter à l’écrit.

Dans son rapport, relayé par le média américain Bloomberg, l’ADL dit avoir retrouvé la trace de 1,83 million de contenus de nature extrémiste ou haineuse. Parmi eux, des symboles explicitement antisémites reprenant l’imagerie nazie, comme la croix gammée ou la figure d’Adolf Hitler, mais également des marques de soutien à des organisations terroristes telles que l’Etat islamique ou le Hamas. Le phénomène ne se limiterait pas à une poignée d’internautes : le rapport a comptabilisé « 1,5 million d’utilisateurs uniques et 73 824 groupes » ayant utilisé au moins un contenu extrémiste ou haineux.

Or la prolifération de ces contenus sur Steam a des conséquences qui dépassent le cadre de la plateforme, déplore l’ADL. En introduction de son rapport, l’organisation relate en effet l’histoire d’un jeune Turc âgé de 18 ans, auteur d’une attaque au couteau au cours de laquelle il a blessé plusieurs personnes, le 12 août, dans la ville d’Eskisehir. Selon une enquête de l’ADL, Arda K. avait, d’une part, rédigé un manifeste suprémaciste blanc et, d’autre part, publié de nombreux contenus extrémistes et haineux sur Steam.

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Des messages particulièrement viraux

Selon le rapport, des milliers d’utilisateurs des forums de la plateforme « glorifient les extrémistes violents, tels que les tireurs de masse suprémacistes blancs ». Ils adoptent des avatars représentant certaines de ces figures du terrorisme et mutiplient les références, photos à l’appui, à des attentats comme celui commis en 2019 par le suprémaciste Brenton Tarrant contre deux mosquées de la ville de Christchurch, en Nouvelle-Zélande.

D’après l’ADL, ce discours se diffuse notamment au moyen du copypasta (littéralement « copie-pâtes », en anglais, en référence au « copier-coller »), une méthode populaire dans les communautés de joueurs en ligne qui consiste à republier des milliers de fois un même message afin d’inonder un forum ou un tchat. Parmi les quelque 1,18 million de cas uniques de copypasta potentiellement extrémistes et haineux, 54 % portaient un discours suprémaciste, tandis que 4,68 % étaient antisémites.

Véritable vitrine individuelle ou collective dans ces espaces communautaires, la photo du profil est elle aussi massivement détournée à ces fins. Les auteurs du rapport de l’ADL ont ainsi identifié plus de 800 000 profils d’internautes ou de groupes « dont les avatars contenaient des symboles extrémistes ou haineux ». Parmi eux, les plus populaires sont des reprises détournées du personnage fictif Pepe the Frog, devenue mascotte de l’alt-right américaine, mais également des croix gammées, des aigles nazis ou des logos d’organisations terroristes.

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Steam, propriété de la société américaine Valve Corporation, a pourtant par le passé supprimé un certain nombre de contenus extrémistes – la plateforme y est même légalement contrainte dans de nombreuses juridictions. Mais l’entreprise ne s’est jamais attaquée à la dimension systémique du problème, selon l’ADL qui dénonce « l’approche très permissive de Valve en matière de politique de contenu ». Contactée par Le Monde, Valve Corporation n’avait pas donné suite au moment de la publication de cet article.

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Le Monde

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