Dans les Alpes-Maritimes, le maire de Breil-sur-Roya a décidé de prendre un arrêté pour interdire les catastrophes naturelles.
La raison ? Il affirme que les bâtiments de sa commune ne sont plus assurés.
Car en France, face au changement climatique et aux troubles sociaux, les élus peinent à trouver des solutions.

Suivez la couverture complète

Notre planète

Une décision originale qui révèle un problème bien plus grave. Le 1ᵉʳ janvier dernier, le maire de la commune de Breil-sur-Roya a pris un arrêté qui a fait son petit effet : il a décidé d’interdire toute catastrophe naturelle sur sa localité (nouvelle fenêtre) des Alpes-Maritimes. Une drôle d’idée, mais une action « désespérée », avoue l’élu. Car il affirme que sa commune, touchée par la tempête Alex en 2020, ne parvient plus à assurer ses bâtiments. Un cas qui n’est pas isolé : selon les estimations, entre 1000 et 2000 localités en France seraient dans la même situation.

« La situation est compliquée, car les assureurs se rendent compte qu’assurer les collectivités, ça coûte cher », pointe Alain Chrétien, maire de Vesoul et auteur d’un rapport pour l’Association des maires de France (AMF) (nouvelle fenêtre). Le cœur du problème, c’est l’assurance « dommages aux biens », facultative, mais indispensable pour bénéficier, par exemple, du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (CatNat). Problème : le marché est complexe, notamment parce qu’un petit nombre de cotisants doit permettre de couvrir des dommages économiquement très coûteux. Explications.

Guerre des prix

Selon une consultation en ligne (nouvelle fenêtre) lancée par la Commission des Finances du Sénat, 20% des 713 collectivités qui ont répondu affirment avoir subi une résiliation de leur contrat à l’initiative de leur assureur en 2023, 95% ont connu une hausse de la cotisation et 27% une hausse des montants de franchises. Si le problème s’est révélé via la multiplication des catastrophes climatiques et des mouvements sociaux de ces dernières années, les racines du mal sont, elles, plus profondes. 

Les 35.000 communes françaises sont assurées par deux acteurs principaux qui couvrent les deux tiers du marché : Groupama Assurance et la SMACL, une filiale de la Maif. Au début des années 2000, « une guerre des prix s’est installée sur ce marché tenu essentiellement par ces deux grands acteurs en lien avec des stratégies spécifiques », explique Thierry Langreney, président des Ateliers du Futur et auteur du rapport de mission portant son nom (nouvelle fenêtre) rendu en avril 2024. Les tarifs ont été maintenus « à un niveau artificiellement bas » alors que la sinistralité a progressé. Résultat : le marché est devenu déficitaire et a fait fuir la concurrence.

Contactée, la SMACL reconnaît la « concurrence tarifaire » à compter des années 2000 et une « guerre des prix », mais affirme qu’elle a pratiqué des tarifs supérieurs à ceux de la concurrence sur la branche « dommages aux biens » pour toutes les campagnes entre 2011 et 2023. Elle pointe aussi l’attitude des collectivités qui, pour « une grande majorité d’entre elles, a privilégié le prix à la couverture d’assurance ». 

On s’est mis, des deux côtés, des contraintes trop élevées

Thierry Langreney, auteur d’un rapport de mission sur l’assurabilité des risques climatiques

L’autre problème, ce sont les contrats, régis par le Code des marchés publics. Cette réglementation « ne permet pas ou très difficilement la négociation entre la commune et l’assureur, contrairement à ce qui se fait pour les entreprises », explique Thierry Langreney, ancien directeur général adjoint de Crédit Agricole Assurances. Pour les sociétés, le contrat d’assurance peut être adapté au cas par cas, en fonction des bâtiments et des risques associés. Ce n’est pas le cas pour les communes, qui présentent un cahier des charges à prendre ou à laisser pour l’assureur qui ne peut pas se rendre sur place avant d’établir le contrat. Une donnée qui ne permet pas de minimiser le risque pour ajuster le tarif à la baisse.

« On s’est mis, des deux côtés, des contraintes trop fortes », pointe le président des Ateliers du Futur. Et la situation n’a cessé de se dégrader avec la multiplication des événements climatiques extrêmes, comme la tempête Alex en 2020 ou les fortes inondations dans les Hauts-de-France en 2023 et les dégradations liées aux mouvements sociaux, comme en Nouvelle-Calédonie, dont les dégâts sont estimés à plus d’un milliard d’euros ou la crise des « Gilets jaunes » en 2019. Ajoutez à cela le désengagement des réassureurs pour qui ces dommages deviennent trop importants et récurrents en France, et la situation devient inextricable.

La SMACL rappelle ainsi qu’en 2022, la facture climatique pour la totalité des assureurs a atteint 10,5 milliards d’euros en France, soit un niveau jamais vu depuis plus de 20 ans. « Le coût des sinistres pour SMACL Assurances a été multiplié par 4 entre 2021 et 2022, et s’élevait à plus de 100 millions d’euros en 2022 », précise l’organisme. Ces données ont « largement impacté l’équilibre primes/sinistres des assureurs (inflation sectorielle), et par extension le coût d’assurance et de réassurance, avec une hausse générale plus marquée sur les événements climatiques », détaille la SAMCL qui justifie ainsi la hausse des prix : « Afin de pouvoir supporter ce contexte et d’assurer la pérennité du modèle, les assureurs doivent adapter leurs tarifs et leurs conditions contractuelles. »

Et maintenant comment on fait ?

Seule bonne nouvelle, la crise actuelle force les acteurs à se retrouver autour de la table. La SMACL reconnaît ainsi que « chacun doit prendre sa part de responsabilité : les assureurs, les collectivités et l’État », appelant à « la mise en place de solutions concrètes et pérennes sans délai ». Thierry Langreney avance, pour cela, plusieurs pistes qui « doivent être un mélange de solidarité et de responsabilité ». 

Tout d’abord, demander aux collectivités exposées aux risques de les réduire en investissant dans des plans de prévention grâce au projet partenarial d’aménagement (PPA) qui permet de réaliser des travaux afin de mieux adapter le territoire aux risques climatiques du futur. « Malheureusement, aujourd’hui, près d’un quart des plans de prévention sont obsolètes, car basés sur des données historiques dépassées par le changement climatique », pointe l’ancien directeur général adjoint de Crédit Agricole Assurances.

Ensuite, les acteurs plaident pour un retour de la concurrence et plus de souplesse dans la négociation des contrats entre les collectivités locales et les assureurs. « Bercy est en train de travailler pour modifier les règles du Code des marchés publics, souligne ainsi Alain Chrétien. Il faut que les ministres concernés prennent les choses en main ».

Mettre les acteurs autour de la table

Plusieurs recommandations ont également été listées par le rapport Chrétien-Dagès de l’AMF. Le document avance, par exemple, l’idée d’instaurer un système à trois étages pour mieux répartir le risque. Au premier, les petits accidents du quotidien qui permettraient aux communes de s’autoassurer. Au deuxième, les sinistres plus importants qui seraient à la charge de l’assureur, tandis que l’État interviendrait au troisième étage et directement sur les événements majeurs, au titre du régime CatNat, dont les dédommagements sont aujourd’hui pris en charge à 50% par l’assureur et la Caisse centrale de réassurance (CCR).

Sénat

Contacté par TF1, le ministre l’Aménagement du territoire, François Rebsamen, n’a pas souhaité réagir sur ce dossier, mais Alain Chrétien devrait lui écrire prochainement pour le rencontrer et évoquer ces questions. D’autant que les prévisions ne sont pas optimistes sur l’assurance des communes : selon la CCR, les dommages causés par les sinistres dus aux catastrophes climatiques pourraient augmenter de 40% d’ici à 2050. 


Annick BERGER

Partager
Exit mobile version