Amal (Lubna Azabal) dans « Amal. Un esprit libre », de Jawab Rhalib.

L’AVIS DU « MONDE » – POURQUOI PAS

Dans la déferlante de films évoquant les diverses sources du gros malaise actuel dans les établissements scolaires, Amal, en provenance de chez nos voisins belges, n’est pas le moins effrayant. Prenant la suite du Pas de vagues, de Teddy Lussi-Modeste – sorti le 27 mars, le film évoque une affaire de fausse accusation de harcèlement portée par une élève à l’encontre de son professeur –, Amal analyse l’entrisme exercé dans les établissements scolaires par la mouvance salafiste. Jawad Rhalib, son auteur, n’en est pas à son coup d’essai. Ce réalisateur belgo-marocain de 58 ans, qui a commencé comme journaliste, défenseur sans faille de la liberté de penser, signe, tant en documentaire qu’en fiction, des films politiquement et socialement engagés depuis 1997.

Ici, au centre du cadre, Amal, une enseignante de lettres bruxelloise, militante de la laïcité, elle-même issue d’une famille immigrée musulmane. Interprété avec fougue par Lubna Azabal, actrice belge familière du cinéma d’auteur français, ce personnage va rapidement devenir la proie d’une action de déstabilisation et d’intimidation où la malveillance le dispute à la lâcheté et à l’indifférence. Tout commence au sein du cours où la persécution violente d’une élève homosexuelle par un petit groupe de condisciples défendant une vision rigoriste de l’islam incite l’enseignante à mettre l’accent dans son cours sur la tolérance et le respect d’autrui.

Pour ce faire, et pour montrer que la culture en terre d’islam fut elle-même plus diverse que ce que d’aucuns veulent bien reconnaître, elle choisit de faire découvrir à sa classe la poésie d’Abu Nuwas, poète arabo-musulman bisexuel du VIIIe siècle, à la fois novateur et libertin. Cette « audace » est le point de départ d’une guerre insidieuse qui va la prendre pour cible au nom du respect de la morale et de la croyance d’un certain nombre d’élèves.

Opposition irréconciliable

L’intervention d’un de ses collègues, professeur de religion dans le même collège, qui dénonce cette initiative, la pression ouvertement menaçante de certains parents d’élèves, le déchaînement des réseaux sociaux agitant des menaces de mort entameront bientôt sa confiance, à mesure même que ses collègues et la directrice de l’établissement, apeurés par la dimension que prend le conflit, marquent à son égard une distance qui conduit à son esseulement.

On retrouve donc dans Amal ce processus à la fois diffus et ultraviolent qui aboutit à la marginalisation et à l’amertume du jeune enseignant de Pas de vagues. A la différence toutefois de ce dernier film, soucieux de ménager les raisons de tous les protagonistes, Amal, qui décrit certes à travers le salafisme un tout autre type d’antagonisme, joue sans détour la carte de l’opposition irréconciliable. A cet égard, il travaille le personnage du professeur de religion, interprété par le dardennien Fabrizio Rongione, comme un certain cinéma hollywoodien surcharge ses traîtres de légende : fourbe, dangereux, sans scrupule. Soit un personnage aux deux visages, distillant à doses homéopathiques et sur un ton convenable le poison du relativisme démocratique dans le cadre de l’école, cultivant des passions nettement plus belliqueuses dans celui de son association cultuelle.

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