La Terre connaît un épisode massif d’extinction de la biodiversité. Selon le dernier rapport de l’ONG World Wildlife Fund (WWF), le nombre de vertébrés sauvages a chuté de 73 % depuis 1973. La perte de biodiversité étant la conséquence de phénomènes systémiques très larges, tels que la déforestation, il est souvent difficile d’évaluer ses effets directs sur la santé humaine. C’est cet obstacle que parviennent à surmonter deux économistes, Eyal Frank et Anant Sudarshan, dans une étude récente parue dans l’American Economic Review, qui nous informent ainsi du coût – exorbitant – de l’écroulement d’une seule espèce dans un contexte particulier : celui du vautour en Inde.

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Les vautours, malgré leur manque de sex-appeal (Darwin lui-même les aurait qualifiés d’« oiseaux dégoûtants » depuis le pont du Beagle en 1835), constituent ce que les écologistes appellent une « espèce-clé », dont la disparition compromettrait la structure et le fonctionnement de tout un écosystème. Le vautour est un carnassier particulièrement efficace, capable de faire disparaître la carcasse d’une vache en quarante minutes ! Ceci est un service particulièrement utile dans un pays comptant 500 millions de têtes de bétail, et disposant d’une infrastructure d’équarrissage rudimentaire.

Les carnassiers compétiteurs du vautour y sont les rats et les chiens sauvages. Or ceux-ci posent deux problèmes de santé publique importants. Premièrement, ils sont beaucoup moins efficaces, et laissent des restes de carcasses qui se désintègrent et contaminent les cours d’eau, propageant des maladies telles que le choléra, la dysenterie ou la fièvre typhoïde. Deuxièmement, ils sont porteurs de la rage. Sur environ 59 000 décès annuels dans le monde dus à cette maladie, plus d’un tiers surviennent en Inde, dont une grande part chez les enfants de moins de 15 ans.

Au bénéfice d’intérêts privés

La population de vautours sauvages en Inde a connu un déclin de 95 % dans la seconde moitié des années 1990. La cause de ce déclin resta longtemps un mystère, jusqu’à ce que les scientifiques aient réussi à montrer, en 2004, qu’elle était attribuable à l’empoisonnement par une molécule particulière : le diclofénac. Il s’agit d’un anti-inflammatoire largement utilisé depuis les années 1970 mais dont l’usage vétérinaire ne se développa en Inde qu’à partir de 1994, grâce à l’expiration du brevet pharmaceutique qui permit la mise sur le marché de génériques bon marché. Dans ses applications vétérinaires, le diclofénac est utilisé pour traiter les infections, la fièvre, et les inflammations.

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