Hugo Touzet est sociologue, postdoctorant au CNRS. Coauteur de l’ouvrage Sociologie de l’opinion publique (PUF, 2020), il a soutenu une thèse intitulée « Le travail de l’opinion publique. Sociologie des professionnel·les du sondage d’opinion » (2021).

De l’annonce de la dissolution au deuxième tour des législatives, les instituts de sondage ont publié des projections en sièges. Etaient-elles fiables ?

Hugo Touzet : De toute évidence, non. Elles étaient bien trop favorables au Rassemblement national (RN). Même les dernières projections de l’entre-deux-tours, prenant pourtant en compte les désistements, donnaient au RN et à ses alliés une majorité relative : Odoxa prédisait 210-250 sièges le 4 juillet ; Harris Interactive 185-215 sièges le 5 juillet ; l’IFOP 170-210 le même jour… Ils en ont obtenu 143.

Comment expliquez-vous un tel écart ?

Pour comprendre, il faut distinguer d’un côté les sondages d’intention de vote et de l’autre les projections en sièges. Les premiers ont été réalisés jusqu’au premier tour des législatives et reflètent des rapports de force nationaux. C’est quelque chose que les sondeurs savent faire. Preuve en est : les estimations des pourcentages de voix pour chaque camp au premier tour étaient fiables.

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En revanche, les projections en sièges, basées sur 577 élections locales, sont très hasardeuses. D’ailleurs, la commission des sondages, l’organisme public chargé de contrôler les sondages électoraux, se déclare incompétente pour apprécier leur pertinence. Cela n’a pas empêché les instituts de multiplier les projections durant la campagne, ni les médias de les commenter activement.

Les méthodes utilisées pour les calculs de projections sont variables, d’où des résultats assez différents d’un institut à l’autre. Chacun a sa recette : par exemple, vous pouvez donner une prime au sortant ou non, pondérer selon les résultats de telle ou telle élection précédente dans les communes de la circonscription… Quant aux paramètres très locaux (soutien d’un maire au candidat…), il est presque impossible de les prendre en compte. Le tout dans un contexte où nombre d’élections se jouent à quelques centaines voire quelques dizaines de voix.

Outre le manque de fiabilité structurel des projections en sièges, n’y a-t-il pas aussi eu des faiblesses liées au contexte politique inédit de ces législatives ?

Si, c’est le deuxième facteur explicatif. Il s’est passé quelque chose de profond dans la société, en très peu de temps. On a assisté à une rediabolisation du RN, grâce à une mobilisation de grande ampleur de la société civile, celle des syndicats, d’intellectuels, d’associations, de certaines professions…

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