Un bus, puis deux, puis trois, quatre, cinq… Il n’est pas encore 18 heures quand le parking du supermarché Lidl de Pauillac (Gironde), commune de 5 000 habitants au cœur du vignoble bordelais, s’emplit soudainement. Des dizaines d’hommes et de femmes descendent de plusieurs cars immatriculés en Roumanie et s’engouffrent dans les rayons de l’enseigne. Ils en ressortent rapidement avec des barquettes de chipolatas, des baguettes de pain, des paquets de chocolats liégeois, des fruits… Ils se sont empressés de faire des courses pour le repas du soir, après avoir débauché. Ils ont passé des journées harassantes dans les vignes, à vendanger grands crus et petits vins médocains sous le soleil de l’été finissant.

Pantalons et chaussures poussiéreux, visages fatigués, peaux tannées, dans les rayons du supermarché, Alexandru (toutes les personnes citées par un prénom ont requis l’anonymat), 16 ans, et son grand frère Darrel se voient remettre deux billets neufs de 100 et 50 euros. « Partagez entre vous », indique, en langue roumaine, celui qui semble être un chef de groupe. Alexandru s’est formé aux travaux de la vigne sur le tas. « Ce sont les anciens qui m’ont appris la taille et l’ébourgeonnage », dit-il. Darrel, l’aîné, fait les saisons dans le Médoc depuis six ans. A côté d’eux, dans la file qui s’avance vers la caisse, José, 60 ans, porte un tee-shirt froissé à l’effigie du prestigieux domaine pour lequel il fait les vendanges depuis « sept ou huit ans », comme d’autres de son village d’Andalousie avant lui. « A 10 euros net de l’heure, c’est mieux payé que les olives », justifie l’homme.

Bientôt, les bus repartent. Leur apparition furtive rappelle aux locaux que le plus grand vignoble de France, avec 100 000 hectares cultivés et 600 millions de bouteilles produites par an, vit grâce à cette main-d’œuvre étrangère. Cela n’a pas toujours été le cas. Au début des années 2000, dans un secteur soumis à des crises et des restructurations, les domaines viticoles se sont désengagés de certains travaux, comme la taille de la vigne ou les vendanges, pour les confier à des prestataires de services, qui fournissent matériel et main-d’œuvre. La préfecture indique que la Gironde compte aujourd’hui environ 5 000 châteaux et, à leur service, plus de 600 sociétés prestataires de main-d’œuvre agricole immatriculées dans le département.

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