
Dans le nord du Togo, confronté à des incursions de groupes islamistes présents de l’autre côté de la frontière au Burkina Faso, les violences djihadistes s’intensifient depuis le début de l’année, malgré un silence assumé des autorités pour « ne pas démoraliser » les troupes.
Les communications officielles sur les attaques sont rares : cela résulte d’une « politique de verrouillage informationnel » du gouvernement, selon le politologue et essayiste togolais Madi Djabakate. En 2023, le gouvernement avait reconnu plus de 30 morts dans des attaques « terroristes ».
Aucun chiffre officiel n’a été donné en 2024, mais le groupe de réflexion américain Security Council Report avance un bilan de 52 morts. Et depuis janvier, au moins 62 personnes (54 civils et 8 militaires) ont été tuées dans 15 attaques djihadistes dans le nord, selon une récente déclaration de Robert Dussey, le ministre togolais des affaires étrangères. Ces pertes témoignent d’une recrudescence des violences djihadistes dans la partie septentrionale du pays.
Des « frontières poreuses »
Comme son voisin le Bénin, le Togo fait face à l’intensification des violences liées à la situation sécuritaire dans l’est du Burkina Faso. La province burkinabè de la Kompienga, près de la frontière, abrite une puissante katiba du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à Al-Qaïda. La préfecture togolaise de Kpendjal, située juste à la frontière, dans la région des Savanes, est la plus touchée par les attaques djihadistes.
« Les frontières sont poreuses. Ce sont les mêmes populations qui sont dans la Kompienga qu’on retrouve du côté du Kpendjal », explique Mathias Khalfaoui, spécialiste des questions de sécurité en Afrique de l’Ouest.
Le Togo a connu sa première attaque meurtrière en mai 2022, et depuis le pays « connaît sans véritable discontinuité des attaques et autres événements liés à des groupes djihadistes sur son territoire », indique Mathias Khalfaoui dans une récente étude pour la fondation Konrad Adenauer. Mais l’avancée des groupes djihadistes peut passer facilement inaperçue, car elle est « lente et méthodique », dit la même source.
1 532 victimes du terrorisme
« Il faut remonter [en] décembre 2022 pour trouver un mois qui, à notre connaissance, n’a pas d’attentats », poursuit cette étude, ajoutant que « jusqu’en 2023, le danger était encore concentré sur les territoires directement limitrophes au Burkina Faso », dans la préfecture de Kpendjal. Mais « depuis mai 2024 », les activités djihadistes se sont étendues plus au sud aux préfectures voisines d’Oti et d’Oti Sud.
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En 2024, le Burkina Faso est le pays qui a enregistré le plus de morts dus au « terrorisme » pour la deuxième année consécutive avec 1 532 victimes, sur un total mondial de 7 555, rapporte l’Indice mondial du terrorisme.
« Réponse militaire et répressive »
Par ailleurs, la difficile situation sociale et économique des populations du nord dans la région des Savanes, la moins développée et la plus pauvre du Togo, contribue à la dégradation de la situation sécuritaire, relève la même source.
« Les préfectures affectées, notamment Kpendjal et Kpendjal-Ouest, souffrent d’une absence structurelle de l’Etat. L’affectation de fonctionnaires dans ces zones est perçue comme une sanction, tant les conditions de vie sont difficiles et les services publics inexistants », confirme Madi Djabakate, qui pointe « la réponse essentiellement militaire et répressive » du Togo.
En 2023, le pays avait toutefois mis en œuvre le Programme d’urgence des savanes pour tenter d’améliorer les conditions de vie des populations du Nord, où l’état d’urgence est en vigueur depuis juin 2022.
Afrique de l’Ouest divisée
Environ 8 000 militaires togolais y sont déployés dans le cadre de l’opération « Koundjoaré », lancée en 2018, a récemment annoncé Robert Dussey.
Le budget de la défense a aussi augmenté, passant de 8,7 % des dépenses publiques totales en 2017 à 17,5 % en 2022, a-t-il ajouté.
« Le Togo a réagi très vite. Mais ce sont des choses qui se bâtissent avec le temps », dit Mathias Khalfaoui. Plusieurs observateurs estiment que seule une coopération régionale peut vaincre le djihadisme dans une Afrique de l’Ouest divisée.