Remembrance est une rose bien particulière. Comme l’indique son nom anglais à la tonalité plutôt solennelle, c’est une rose pour se souvenir du passé, une rose dont la couleur rouge sang rappelle à dessein le sacrifice des soldats de l’Empire britannique tués au cours des deux conflits mondiaux. Remembrance n’égaye pas les jardins paysagers, elle embellit les cimetières militaires du Commonwealth.

De loin, et ce n’est pas un hasard, on dirait un coquelicot, la seule fleur qui réussit à pousser sur le bord des tranchées en 1914-1918. De près, la rose révèle toute sa beauté et sa senteur délicate. Dressée entre les tombes des combattants de la Grande Guerre inhumés au mémorial de Thiepval dans la Somme, elle veille sur eux, bravant le froid et le sinistre brouillard des automnes du Nord. C’est sur cet ancien champ de bataille que David Moody, le chef jardinier des lieux, nous la présente, les doigts glissés avec précaution sous la corolle de sa protégée.

Ce costaud de 54 ans n’est pas un horticulteur comme les autres. Sa vie professionnelle est consacrée aux morts depuis son recrutement, en 2007, par la Commonwealth War Graves Commission (CWGC, « Commission des sépultures de guerre du Commonwealth »). « En préservant un environnement naturel digne de ces soldats si jeunes et venus parfois du bout du monde pour se battre chez nous, j’ai le sentiment de donner un sens à mon métier », confie-t-il, arrachant quelques feuilles mortes d’un massif d’asters planté le long d’une allée.

Remembrance, nous apprend ce Franco-Britannique, a été créée, à la demande de la Commission, par la prestigieuse maison anglaise Harkness, où la reine Victoria aimait se fournir. « Ce souci de soigner le moindre détail, c’est un peu notre marque de fabrique », ajoute-t-il, revêtu, comme les autres jardiniers autour de lui, d’une polaire noire frappée du logo blanc de son institution.

En dépit de son rayonnement planétaire, cette dernière reste méconnue. Héritière de l’Imperial War Graves Commission, fondée en 1917 par une charte royale, l’organisation est parrainée par Sa Majesté Charles III et présidée par la princesse Anne. Son ordre de mission est précis : honorer à jamais le souvenir des 1,7 million d’hommes et de femmes des forces du Commonwealth tombés lors des deux guerres mondiales en Europe, mais aussi en Egypte, au Kenya, en Malaisie, en Irak, en Libye, à Gaza…

Au total, elle gère 23 000 cimetières situés dans 153 pays et territoires, un impressionnant atlas funéraire. Aucun soldat, aucune infirmière ne doivent être oubliés. Tout corps retrouvé est enterré au plus près du champ de bataille. Et, en l’absence d’ossements identifiables, le patronyme du disparu est inscrit sur le mur d’un mémorial.

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