C’est un ancien converti qui alerte : l’alliance des magnats des nouvelles technologies et des populistes autoritaires met l’humanité à « l’heure des prédateurs », affirme Giuliano da Empoli. Installé dans la peau d’un « scribe aztèque », l’essayiste, qui a longtemps cru aux vertus civiques du numérique, analyse l’emprise politique des « conquistadors de la tech ».
Tel un Machiavel transposé dans la Silicon Valley ou un Fabrice del Dongo [le héros de La Chartreuse de Parme, de Stendhal] à l’ONU, Giuliano da Empoli peint le tableau des César Borgia [prince italien de la Renaissance qui inspira Machiavel] du monde contemporain. A l’image du prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salman, qui avait mis en scène, fin 2017, un incroyable guet-apens contre des dignitaires de son royaume, piégés et soumis à de longs mois d’interrogatoire au Ritz-Carlton de Riyad. Ou de Nayib Bukele, jeune président du Salvador, « à mi-chemin entre Simon Bolivar et un personnage de Star Wars », qui, confronté à la violence des gangs dans son pays, proclama l’état d’urgence et exigea l’arrestation de toutes les personnes tatouées.
Les « borgiens » sont là, estime Giuliano da Empoli. De Trump à Poutine, ils jouent sur l’effet de sidération provoqué par leurs actions irréfléchies – la marque du pouvoir du prince, selon l’auteur. Et ils sont désormais dotés d’une puissance nouvelle, et sans doute inégalée : l’ingénierie algorithmique des plateformes numériques. Cette alliance peut provoquer des crises et des insurrections en toutes circonstances. C’est pourquoi nous assistons à un surprenant renversement : « Le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants. »
Chambre d’écho numérique
Face à cette déferlante des prédateurs, le « parti des avocats » – le camp des défenseurs des normes démocratiques et des droits des minorités – paraît bien affaibli. Une séquence du livre de Giuliano da Empoli, que l’on dirait tout droit sortie des Mémoires du cardinal de Retz ou de Saint-Simon, invite à prendre la mesure de la situation.
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