À l’été 2019, le maire de Signes Jean-Michel Mathieu était mortellement écrasé par un ouvrier venu déposer des gravats dans un dépôt non autorisé.
Le drame avait mis en lumière la problématique des décharges sauvages dans les campagnes.
Cinq ans après, l’Institut Terram, un think tank dédié à l’étude des territoires, a analysé le rapport des ruraux aux déchets : si la majorité d’entre eux défendent la valeur de leur cadre de vie, beaucoup continuent de pratiquer le « littering », soit l’acte de jeter ou d’abandonner des déchets dans un espace public.

C’est un paradoxe que vient souligner une étude parue mardi : si les ruraux accordent une très grande importance à leur cadre de vie, ils sont nombreux à continuer à jeter leurs déchets dans la nature. L’étude* a été menée par OpinionWay pour l’Institut Terram, un think tank créé par Victor Delage et consacré à l’étude des territoires.  

« Les ruraux, comme les urbains, ont largement intégré les discours sur la préservation de l’environnement et l’urgence climatique, omniprésents dans le débat public », explique Victor Delage. « Cependant, cette sensibilisation, souvent théorique et parfois éloignée de la réalité des gestes du quotidien, ne se traduit pas toujours par une transformation durable des comportements. »

28% des personnes interrogées jettent de temps en temps un trognon de fruit dans la rue

Ainsi, selon ces résultats, 80% des personnes interrogées se disent préoccupées par les enjeux environnementaux (un chiffre qui grimpe à 82% pour les 18-24 ans), et 80% jugent le « littering », soit le fait de jeter un déchet dans un espace public, comme « inacceptable ». Mais près d’un rural sur cinq (18%) juge toutefois que certains comportements « dérangeants » peuvent être « compréhensibles » en fonction du contexte : par exemple, en raison de la taille ou de la nature du déchet. 

Ainsi, si jeter sa bouteille en plastique ou sa canette suscite la réprobation de 60% des ruraux, ce chiffre tombe à 19% pour les cigarettes, 8% pour les papiers et les emballages, 7% pour les déchets alimentaires et 6% pour les chewing-gums. Plus d’un quart des personnes interrogées (28%) reconnaissent jeter un trognon de fruit dans la rue « au moins de temps en temps », 18% jettent un papier ou un emballage, 17% un chewing-gum.

Côté cigarettes, 48% des fumeurs ruraux les jettent dans la rue. Seulement un fumeur rural sur deux ne jette « jamais » ses mégots sur le trottoir ou dans un caniveau. Enfin, 4% des répondants affirment jeter occasionnellement une bouteille en plastique ou une canette dans la rue.

Plus sensibles à l’environnement, les jeunes jettent pourtant davantage dans la nature

Autre paradoxe : tout en étant les plus préoccupés par l’environnement, les moins de 35 ans sont pourtant les plus disposés à abandonner leurs déchets. 38% d’entre eux admettent jeter « au moins de temps en temps » des trognons de fruit (contre 23 % chez les plus de 50 ans). Il en va de même pour les papiers et emballages (respectivement 29% contre 14%), les chewing-gums (27% contre 12%), les mégots (22% contre 9%) et les bouteilles en plastique ou canettes (13% contre 2%). 

À l’été 2019, le sujet avait été médiatisé après la mort d’un élu : Jean-Mathieu Michel, le maire de Signes, dans le Var, avait été mortellement écrasé par un ouvrier venu déposer des gravats dans un dépôt sauvage. Le jeune homme, qui n’avait pas vu le maire à l’arrière de son véhicule en procédant à une marche-arrière, avait été condamné à un an de prison ferme.

Parmi les raisons évoquées : la prétendue détérioration des déchets

Pourquoi de telles pratiques ? Manque d’information, parfois, déresponsabilisation aussi, explique l’Institut Terram dans son rapport. Ainsi, 51% des personnes ayant déjà jeté des déchets dans la nature justifient leur geste par la décomposition rapide de ceux-ci. « D’autres raisons révèlent un déficit de sensibilisation aux impacts écologiques et sanitaires ou un fort détachement face aux conséquences collectives des actions individuelles », peut-on lire dans le rapport.

Ainsi, 16% des personnes interrogées pensent que jeter des déchets « ne met personne en danger », 14% estiment que « les services publics sont payés pour nettoyer », 8% considèrent que « la rue n’est pas un espace naturel », et enfin, 4% affirment que cela « ne gêne personne ».

« L’un des facteurs explicatifs est lié à la perception du déchet lui-même », explique Victor Delage, qui a créé l’Institut Terram. « Une proportion importante des ruraux justifie leur ‘littering’ par des croyances erronées, selon lesquelles certains types de déchets, comme les trognons de fruits ou les papiers, se décomposeraient rapidement et seraient absorbés par la nature sans causer de nuisance durable. Or, cette vision est trompeuse, même pour les déchets organiques : leur processus de dégradation naturelle est souvent bien plus lent que ce que l’on imagine et peut, dans certains cas, perturber les écosystèmes locaux. Cet argument est encore moins recevable pour les déchets non organiques tels que les mégots de cigarette, les chewing-gums ou les bouteilles en plastique, bien plus résistants à la dégradation. »

17% jettent dehors si des ordures sont déjà présentes

Par ailleurs, selon l’étude, 17% des sondés admettent être plus enclins à jeter leurs déchets lorsqu’ils en voient déjà amoncelés quelque part dans la nature ou dans la rue. « Cette minorité peut suffire à enclencher un cercle vicieux : un paysage jusque-là préservé peut rapidement se dégrader, et les actions de quelques-uns peuvent suffire à altérer les attitudes des autres », analyse l’Institut Terram.

Les dépôts sauvages présentent pourtant des risques de pollution pour l’environnement, mais aussi des risques sanitaires et d’incendie. Les sanctions en cas de dépôt sauvage d’ordures peuvent aller jusqu’à 75.000 euros d’amende et de la prison, mais la pratique perdure. 

Le déficit d’infrastructures de gestion des déchets est une problématique majeure à la campagne.

Victor Delage, fondateur de l’Institut Terram

Pour justifier leur comportement, les ruraux soulignent aussi des problématiques réelles : ainsi, 49% déplorent un manque d’infrastructures pour jeter leurs petits déchets dans leur commune. Et plus les ruraux sont isolés, plus les chiffres grimpent : cette proportion est de 55 % pour les habitants des hameaux (contre 48% dans les petites villes).

« Pour que la norme soit non seulement acceptée, mais aussi pratiquée, elle doit être soutenue par des infrastructures adéquates, accessibles et en nombre suffisant », analyse Victor Delage. « Or, le déficit d’infrastructures de gestion des déchets est une problématique majeure à la campagne.« 

Des points de collecte « incompréhensibles »

Une autre difficulté réside dans la compréhension des dispositifs de collecte. Ainsi, un rural sur quatre (25%) estime que le fonctionnement et l’utilité des points de collecte sont « incompréhensibles ». « Ces données mettent en lumière des problèmes de signalisation, de conception des équipements et un manque d’information », explique l’Institut Terram. « La signalétique ambiguë des corbeilles, par exemple, peut entraîner des doutes sur l’usage correct. Par exemple, lorsqu’une corbeille est présente, la signalétique ne permet pas toujours de comprendre clairement si on peut ou ne peut pas y déposer son mégot.« 

Pour Victor Delage, « il s’agit là d’un obstacle majeur dans l’adoption de comportements responsables en matière de gestion des déchets ».

Que faire ? Pour lutter contre ces dépôts sauvages, 27% des sondés prônent l’installation de poubelles et de cendriers de rue, 26% demandent des sanctions systématiques et 20% souhaitent l’intégration de l’éducation environnementale dans les programmes scolaires.

*L’enquête a été menée auprès d’un échantillon représentatif de 1082 résidents ruraux français âgés de 18 ans et plus, définis comme les habitants de communes de moins de 2000 habitants. La représentativité de cet échantillon a été garantie par la méthode des quotas, prenant en compte le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle et la région de résidence. Les données ont été recueillies au moyen d’interviews avec un questionnaire auto-administré en ligne, réalisées entre le 22 et le 25 septembre 2024.


Marianne ENAULT

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