« C’est comme si on était dans Jurassic Park », chuchote Adrian Grancea. Jumelles autour du cou, il avance aussi silencieusement que possible sur le tapis de feuilles mortes. Le chemin grimpe entre une clôture électrique et une barrière en bois. Soudain, deux cerfs surgissent, tels deux balles rebondissantes lancées entre les hêtres et les bouleaux. Les bisons n’apparaîtront qu’un peu plus loin. Leurs queues, agitées d’un balancement incessant, permettent de les repérer. Sept femelles, au pelage terre brûlée, cornes arquées et longue barbichette, profitent du soleil. Trois mâles laissent entrevoir leur silhouette massive entre les arbres. « Je suis super content de ce groupe, les bisons ne se battent pas et ils se sont déjà mélangés », se réjouit M. Grancea.

Quelques jours plus tôt, à la fin mai, le responsable du projet bisons du Fonds mondial pour la nature (WWF) de Roumanie a accueilli ces animaux à une quinzaine de kilomètres d’Armenis, dans le sud-ouest du pays. D’abord, dix jeunes venus d’une réserve en Allemagne, puis quatre arrivés de Suède. Chaque année ou presque, depuis 2014, des individus sont ainsi transportés jusque dans les monts Tarcu, dans les Carpates méridionales. Après des heures de transport, un camion arrive dans cette région verdoyante et vallonnée, parsemée de villages aux maisons basses et colorées. Rapidement, la route s’enfonce dans une vallée surplombée d’arbres immenses.

Des clôtures en bois séparent la zone d’acclimatation où les bisons séjournent pendant au moins un mois après leur transport depuis les zoos d’Europe, avant d’être relâchés dans la nature. A Armenis (Roumanie), le 2 juin 2024.

Devant l’entrée de la « zone d’acclimatation », un vaste espace clos de 13 hectares au milieu des bois, la voie s’élargit juste assez pour que le camion puisse faire demi-tour. Ses portes s’ouvrent et les bisons s’élancent, franchissent un pont, gravissent une petite colline. L’opération peut prendre deux heures, ou dix. A son arrivée, le troupeau en provenance d’Allemagne a redescendu la butte pour venir chercher une femelle restée figée à l’intérieur du véhicule.

Mi-juillet, les barrières de la zone d’acclimatation se sont ouvertes à leur tour et les 14 bisons ont rejoint leur nouveau terrain de jeu : un immense espace sauvage de plus de 160 000 hectares où subsiste l’une des dernières forêts vierges d’Europe. Armenis, 2 230 habitants, est situé entre quatre parcs nationaux et un parc naturel. Quelque 180 bisons vivent aujourd’hui dans ce territoire.

De « vulnérable » à « quasi menacée »

La réintroduction du plus grand mammifère terrestre du continent est l’une des success stories de la conservation. L’histoire d’un animal charismatique rescapé de l’époque préhistorique, acculé à l’extinction, et qui n’a été sauvé de justesse que par la folle initiative d’une poignée d’Européens. Il y a cent ans, le Bison bonasus – il est différent du bison américain – est déclaré éteint à l’état sauvage. Tête allongée, bosse au niveau des épaules, il reste alors 54 individus sur la planète, tous en captivité. Seuls douze donneront des descendants. Aujourd’hui, plus de 9 100 bisons sont présents à travers l’Europe, dont près de 7 000 vivent en liberté dans une dizaine de pays dont la Biélorussie, la Pologne, la Lituanie, la Russie ou la Roumanie.

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