Le gouvernement vient de préciser le barème des aides pour les cirques qui détiennent des animaux sauvages.
Selon la loi, ceux-ci ne pourront produire des spectacles en itinérance avec des tigres, éléphants ou autres lions à partir du 1er décembre 2028.
Mais pour l’heure, 150 places seulement ont été créées en refuge, alors que plus de 600 animaux sont concernés par l’interdiction. Associations et circassiens redoutent une impasse.

« Il est où, ce plan d’accompagnement ? » À l’autre bout du téléphone, Solovich Dumas, le directeur du Cirque de Rome, ne décolère pas. L’objet de son courroux ? Un décret publié le 30 avril dernier (nouvelle fenêtre) et relatif à « l’accompagnement financier des établissements itinérants de présentation au public d’animaux d’espèces non domestiques ». 

Ce texte vient préciser les contours du dispositif d’aide pour les cirques itinérants qui détiennent des animaux sauvages. Car une loi de 2021 prévoit d’interdire « dans les établissements itinérants, la détention, le transport et les spectacles incluant des espèces d’animaux non domestiques » dans un délai de sept ans (nouvelle fenêtre), soit au 1er décembre 2028. 

Environ 600 animaux non domestiques, dont 400 fauves

« Nous avions besoin de ce décret pour accompagner au mieux les circassiens« , se réjouit-on du côté du ministère de la Transition écologique. Car le dossier a souffert, comme d’autres sujets, des changements de gouvernement, et la transition du secteur a stagné depuis le vote de la loi. 

Concrètement, 600 animaux, dont près de 400 fauves, sont concernés en France. Il s’agit toutefois d’une estimation, parce qu’il est en réalité difficile d’avoir un suivi précis du nombre d’animaux dans les cirques itinérants, d’autant que certains propriétaires d’établissement ont anticipé l’application de la loi et ont transféré tout ou partie de leurs bêtes, souvent à l’étranger. D’autres, à l’inverse, ont choisi de maintenir la reproduction de leurs bêtes, comme Solovich Dumas, bien que celle-ci soit interdite depuis le 1er décembre 2023. « Le nombre d’animaux concernés est assez flou« , reconnaît une source au gouvernement.

50.000 euros pour un éléphant, 1.500 pour un singe

Le décret prévoit cinq types d’aides pour les circassiens, pour un montant total de 35 millions d’euros : 100.000 euros pour accompagner la transition économique de l’établissement, entre 100.000 euros et 150.000 euros (selon le nombre d’animaux) pour la reconversion des professionnels qui détiennent des animaux sauvages et enfin, un montant d’indemnisation par bête si celle-ci a déjà été « mise au repos » dans un refuge. 

Sur ce dernier point, le barème prévoit un maximum de 200.000 euros d’aides par établissement, avec les précisions suivantes : 50.000 euros pour un éléphant, 30.000 euros pour un hippopotame, 5.000 euros pour un alligator, loup, tigre, panthère, lion, lynx, guépard, puma, jaguar ou hyène, 3.500 euros pour un ours ou une otarie, 1.500 euros pour un zèbre ou un primate, et 1.000 euros pour tout autre animal non domestique qui ne figure pas dans cette liste. 

Des aides pour garder les animaux, faute de place en refuge

« Cinq mille euros pour un tigre, c’est une somme dérisoire, réagit Solovich Dumas. Ce montant ne prend pas en compte le temps passé depuis des années à travailler avec ces animaux ! » Lui évoque un coût de plusieurs dizaines de milliers d’euros.

Le décret précise aussi une aide pour les circassiens qui ont encore des animaux, qui ont formulé une demande de place en refuge, mais qui sont dans l’attente de la voir aboutir : 600 euros par mois par animal pour les loups, ours, otaries, tigres, panthères, lions, lynx, guépards, pumas, jaguars, hyènes, éléphants et hippopotames ; 60 euros par animal pour les autres espèces non domestiques. 

Enfin, une aide de 2.000 euros par animal est prévue pour la stérilisation des bêtes. « Les associations nous remontent beaucoup de situations où la reproduction perdure dans les cirques malgré l’interdiction« , reconnait-on du côté du ministère de la Transition écologique.

Pour 100.000 euros, on achète la fin du cirque.

Solovich Dumas, directeur du Cirque de Rome

Pour le directeur du Cirque de Rome, cette « transition » est encore trop floue. « On voit des chiffres sur un papier, mais rien d’autre, regrette-t-il. On ignore même si on est éligible. » 

Le ministère de la Transition écologique assure, lui, que tous les cirques itinérants sont éligibles, si tant est qu’ils soient en règle et disposent de toutes les autorisations nécessaires pour exercer. Une réunion est prévue dans les semaines qui viennent avec la filière. « C’est une première étape et les barèmes pourront être revus pour les cas particuliers », commente une source gouvernementale, se réjouissant déjà que l’enveloppe de 35 millions d’euros n’ait pas fait les frais des restrictions budgétaires.

Mais pour Solovich Dumas, c’est tout simplement ce texte qu’il faut abandonner. « Pour 100.000 euros, on achète la fin du cirque, déplore-t-il. On met fin à une histoire, à un patrimoine. C’est toute notre vie. Ces indemnités ne sont pas à la hauteur de ce que la profession subit. » 

Des animaux toujours dans les cirques en 2028 ?

Reste que le temps presse et que les solutions pour placer les bêtes sont encore trop rares. Selon le gouvernement, 150 places ont été créées dans des refuges, dont 60 pour les félins. Mais ces dossiers administratifs sont très longs, et la probabilité qu’il y ait encore des animaux sauvages dans les cirques itinérants en 2028 est forte. « Il ne nous reste plus que quelques mois pour que les circassiens se mettent en ordre de marche« , reconnait le ministère de la Transition écologique. 

« Quand on prend une législation à la va-vite, éloignée des réalités de terrain, c’est compliqué ensuite de la mettre en œuvre, regrette Me Aurane Reihanian, qui défend plusieurs cirques itinérants. « Il y a un grand décalage entre ce décret et ce que vivent ces personnes, et beaucoup trop de zones d’ombre« , poursuit-il, dénonçant « une vaste hypocrisie autour d’un texte très politique« . Certains dressent un parallèle avec le Marineland, aujourd’hui fermé mais sans solution pour ses orques et dauphins.

Le gouvernement préfère payer l’immobilisme plutôt que financer l’avenir.

One Voice

De leur côté, les associations de défense des animaux estiment aussi que le plan est insuffisant. Ainsi, PAZ et One Voice ont dénoncé la possibilité donnée aux cirques de toucher de l’argent tout en gardant leurs animaux, faute de place disponible dans un refuge. « Le gouvernement préfère payer l’immobilisme plutôt que financer l’avenir, dénonce One Voice. Les animaux attendent des lieux dignes. Les sanctuaires attendent des moyens. Mais les chèques, eux, partiront chez les dresseurs qui continuent leur sale business. »

Le texte prévoit une autre solution de repli pour les circassiens souhaitant garder leurs bêtes : transformer leur cirque itinérant en structures fixes, puisque seule l’itinérance est interdite et non la détention d’animaux non domestiques et leur production en spectacle. Le gouvernement prévoit d’étudier la faisabilité technique et financière de ce type de demande puis assure qu’il soutiendra financièrement « les projets jugés viables« .

Beaucoup de villes ne donnent plus d’autorisation

« Cela ne règle pas le vrai problème : les villes ne veulent plus de nous« , balaie Solovich Dumas. Le propriétaire a d’ailleurs maille à partir avec la justice dans plusieurs dossiers, tantôt pour s’être installé sans autorisation, tantôt pour avoir maintenu ses animaux en cage. Condamné pour maltraitance dans un dossier à Laon, il a fait appel. « On nous parle du bien-être animal, mais comme les villes ne veulent plus accueillir les cirques, on nous laisse avec nos animaux dans de mauvaises conditions« , dénonce-t-il.

Il n’est pas rare que la venue d’un cirque en ville soit précédée d’une campagne sur les réseaux sociaux des associations animalistes : elles appelaient par exemple à manifester ce jeudi à Bussy-Saint-Georges, en Seine-et-Marne, contre la présence du cirque franco-belge.

Dans une circulaire, le gouvernement rappelle le cadre légal

Depuis les débats autour de la loi, puis son adoption, de nombreux contentieux sont nés du refus de municipalités de laisser les cirques s’installer. « Il est vrai qu’il y a une confusion chez certains élus locaux qui pensent que l’interdiction est déjà en vigueur« , admet-on au gouvernement. Fin avril, les ministres de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire ont d’ailleurs diffusé une circulaire aux préfets, destinée à « prévenir les conflits relatifs aux demandes d’occupation du domaine public« . 

Le texte rappelle notamment qu’il n’est pas légal de refuser l’installation d’un cirque itinérant au seul motif qu’il présente des animaux sauvages, et rappelle la possibilité d’organiser des médiations sur ce sujet sensible. « Beaucoup de communes ne respectent pas cette disposition« , déplore Me Reihanian, qui attaque systématiquement ce genre de décision, souvent avec succès. « On ne laisse pas travailler des gens qui sont chefs d’entreprise et ont le droit de travailler. »

Les villes, elles, arguent d’une demande de leurs administrés de ne plus voir ce type de spectacle ou des risques associés à la présence des cirques en raison des manifestations des associations animalistes. Sur les réseaux sociaux, les campagnes sont parfois violentes. « Nous ne sommes pas considérés comme des citoyens français« , juge Solovich Dumas, dénonçant « un racisme » à l’égard des gens du cirque. Une situation sur laquelle le défenseur des droits a alerté à plusieurs reprises. 

Marianne ENAULT

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