Le patron de Tesla, en charge de lourdes coupes budgétaires au sein des agences fédérales, s’en est pris au conseiller au commerce de Donald Trump.
Depuis quelques semaines, les tensions semblent grimper entre les proches du président et l’entrepreneur, qui cache de moins en moins ses divergences de point de vue.
Mais il reste difficile pour l’heure d’imaginer une rupture imminente entre les 2 hommes, liés l’un à l’autre par de nombreux intérêts.
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Le second mandat de Donald Trump
C’est la première fois que les dissensions dans l’entourage de Donald Trump apparaissent aussi brutalement au grand jour. L’homme d’affaires Elon Musk a lâché mardi 8 avril ses coups contre le conseiller américain au commerce, Peter Navarro, qualifié de « crétin », « bête comme ses pieds » (nouvelle fenêtre). « Les garçons sont comme ça, on ne les changera pas », a voulu balayer la porte-parole de la Maison Blanche. Mais depuis plusieurs semaines déjà, les frictions semblent s’accentuer entre le président américain et ses proches d’un côté, et de l’autre l’entrepreneur, en charge de coupes budgétaires drastiques dans les agences de l’État.
Si la réaction du patron de Tesla a été aussi épidermique, c’est que Peter Navarro avait affirmé que le constructeur n’était « pas un fabricant de voitures », mais seulement un « assembleur ». « Et à chaque fois qu’Elon Musk est humilié, il réagit très vivement », explique Olivier Lascar, journaliste et auteur du livre Enquête sur Elon Musk, l’homme qui défie la science (Alisio).
Par ailleurs, il n’est peut-être pas anodin que le chef d’entreprise s’en prenne spécifiquement à ce conseiller économique, décrit comme l’architecte de la vaste guerre commerciale (nouvelle fenêtre) lancée par Donald Trump. L’annonce choc de nouveaux droits de douane la semaine passée a plongé les places boursières dans la tempête, entraînant des pertes de dizaines de milliards de dollars pour Elon Musk (nouvelle fenêtre), déjà fragilisé par des ventes en baisse de ses Tesla ces derniers mois. À contre-courant de la Maison Blanche, l’homme d’affaires avait d’ailleurs plaidé ce week-end pour une zone de « libre-échange » avec l’Europe (nouvelle fenêtre).
Deux visions qui s’affrontent
« Soit il a sous-estimé les mesures que Donald Trump allait prendre, soit il a sur-estimé sa propre capacité à le convaincre de faire différemment », analyse Ludivine Gilli, directrice de l’Observatoire de l’Amérique du Nord de la Fondation Jean-Jaurès. Selon elle, l’épisode est en tout cas symptomatique des « frottements » entre les différentes galaxies qui entourent le président américain, « qui s’entendent sur certains sujets, mais pas tous ».
« La base MAGA (Make America Great Again) est très favorable aux droits de douane (nouvelle fenêtre) et très opposée à l’immigration, alors qu’Elon Musk, patron de grande entreprise, est plutôt libre-échangiste. Ses sociétés de haute technologie ont aussi besoin d’une main-d’œuvre très qualifiée, qui n’est pas nécessairement présente aux États-Unis », déroule la spécialiste.
L’homme le plus riche du monde s’est d’ailleurs écharpé avec d’autres proches du président ces dernières semaines, notamment avec le chef de la diplomatie Marco Rubio, une dispute ensuite démentie par Donald Trump (nouvelle fenêtre). De là à le pousser à partir dès maintenant ? « Il est toujours difficile de savoir quelle peut être la goutte d’eau qui va faire déborder le vase« , tempère l’experte.
Une séparation « soft », ou « dans le bruit et la fureur » ?
Le locataire de la Maison Blanche a démenti en tout cas tout départ anticipé de son allié. Il a aussi rappelé au passage qu’il était de toute façon prévu qu’Elon Musk, en charge de la commission dédiée à l’efficacité gouvernementale, « retourne » prochainement à ses propres activités. Son contrat avec le gouvernement fédéral doit durer en théorie 130 jours, et devrait donc s’achever fin mai. « Il y a quelque chose en trompe-l’œil dans cette histoire depuis le début », appuie Olivier Lascar.
Mais toute la question est désormais de savoir si cette collaboration cessera avant, et de quelle manière. « La séparation devait avoir lieu, mais est-ce qu’elle se fera de manière soft, ou dans le bruit et la fureur ? », s’interroge le journaliste. Les deux « égos surdimensionnés » des deux hommes, tous deux adeptes des sorties provocantes ou outrancières (nouvelle fenêtre), pourraient pencher pour la deuxième option.
Trump/Musk, la fin de la lune de miel ?Source : Bonjour !
03:08
Mais Donald Trump pourrait aussi avoir un intérêt à garder auprès de lui le plus longtemps possible Elon Musk, qui aime prendre la lumière et est bien identifié des Américains. L’homme d’affaires, qui porte le plan très controversé de coupes budgétaires et de renvois massifs de fonctionnaires, pourrait bien lui avoir servi de « paratonnerre », avance Olivier Lascar. « C’est le parfait fusible : c’est lui qui a concentré toute l’attention sur le démantèlement de l’État fédéral », abonde Ludivine Gilli. Selon les études d’opinion YouGov pour The Economist, l’entrepreneur a ainsi vu sa côte de popularité chuter depuis janvier auprès des Américains indépendants, offrant un aperçu de l’image que s’en fait la population américaine en général.
Des enjeux à long terme qui pourraient bien être préservés
Et même lorsque la mission d’Elon Musk prendra fin, l’un comme l’autre n’a pas intérêt à rompre brutalement leur collaboration, bien au contraire. L’entrepreneur, également à la tête de la société spatiale SpaceX, entretient depuis 20 ans le projet d’envoyer des hommes sur Mars (nouvelle fenêtre), et ne veut pas perdre le soutien de Donald Trump à ce sujet. « Il fera sûrement toujours en sorte de ne pas franchir de ligne rouge vis-à-vis du président, qui pourrait remettre en question son engagement dans ce projet-là, qu’il place au-dessus de tout », estime Olivier Lascar.
Le géant de la tech espère aussi continuer à bénéficier de la « bienveillance » de la part des agences fédérales en charge de réglementer les entreprises, y compris les siennes, ajoute Ludivine Gilli. Quant à l’administration Trump, elle a aussi besoin du multimilliardaire, notamment pour son programme spatial, la Nasa dépendant aujourd’hui de SpaceX à plusieurs titres. Bref, la relation interpersonnelle entre les deux hommes, réputés imprévisibles l’un comme l’autre, pourrait encore connaître des remous. Mais elle ne doit pas faire oublier de lourds enjeux à l’arrière-plan : « Ce sont des dizaines de centaines de milliards de dollars qui sont en jeu ».