Certains auraient aimé qu’il se démette, d’autres qu’il se soumette. A l’orée d’une semaine encore une fois périlleuse, Emmanuel Macron a plutôt choisi de forcer le destin. Malgré la démission de Sébastien Lecornu, le président de la République a renommé l’ancien ministre des armées à Matignon puis s’est entouré, dimanche 12 octobre, d’un gouvernement sans réelle rupture. De quoi crisper les oppositions de gauche et irriter ses alliés. Une censure de M. Lecornu dès les premières motions qui sont annoncées par le Rassemblement national et La France insoumise n’est pas à exclure. En s’accrochant à l’idée de nommer un de ses proches, soutenu par un socle de plus en plus étroit, le chef de l’Etat prend le risque de transformer cette crise politique majeure en blocage durable des institutions, donc en crise de régime.

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Signe d’une grande fébrilité, le gouvernement a été annoncé, dimanche, tard dans la soirée. Pendant trois heures, M. Macron, qui avait pourtant donné « carte blanche » à son premier ministre, a voulu revoir la copie avant son départ en Egypte, lundi. Finalement, l’ouverture à des personnalités de la société civile ne masque ni la continuité (12 des 18 ministres du premier gouvernement de M. Lecornu sont reconduits) ni la volonté de contrôle de l’Elysée, qui a conservé les macronistes Gérald Darmanin à la justice ou Roland Lescure et Amélie de Montchalin à Bercy.

Alors que la censure se jouera sans doute à quelques voix, cette équipe n’offre aucune garantie à un premier ministre toujours en sursis. Le parti Les Républicains se déchire à cause de la présence de six de ses membres, et aucune personnalité marquante de gauche ne fait son entrée. Seule la nomination de Jean-Pierre Farandou, habile négociateur lorsqu’il dirigeait la SNCF, au ministère du travail peut donner un espoir de dialogue sur des sujets cruciaux.

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Macron doit s’effacer

Silencieux depuis une semaine, M. Macron s’est remis au centre du jeu, persuadé que cela suffirait à sortir la France de la crise, faisant penser aux dirigeants « prisonniers de dogmes qu’ils savaient périmés », pour reprendre les mots de Marc Bloch dans L’Etrange défaite. Vendredi soir, il a donc reçu l’ensemble des forces politiques. Cette réunion n’a fait qu’enkyster la situation. Pendant le week-end, l’UDI et Horizons, le parti d’Edouard Philippe, ont annoncé qu’ils soutiendraient le gouvernement sans y participer. Sur les retraites, le chef de l’Etat n’a consenti qu’à un décalage de l’âge du report alors que les socialistes et les écologistes veulent au minimum une suspension.

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Le président de la République ne veut ni se contredire, ni gommer une partie de son bilan. Ses plus fidèles ont pourtant compris que l’Elysée devait mettre en scène son éloignement. Agnès Pannier-Runacher a réclamé que le nouveau premier ministre ne soit pas une « personnalité du camp macroniste », et Gabriel Attal a imploré que l’Elysée n’essaie pas de « s’acharner à vouloir garder la main sur tout ». En vain.

Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu, encore ministre des armées, à Paris, le 14 juillet 2025.

M. Macron a-t-il compris qu’il devait s’effacer de son propre quinquennat, du moins en politique intérieure, pour sauver ce qu’il en reste ? Après son refus d’admettre le résultat des élections législatives perdues de 2024, son obstination à garder la main sous différentes formes a déjà conduit deux premiers ministres à échouer en à peine douze mois. Une nouvelle censure la semaine du 13 octobre forcerait sans doute à une dissolution qui ne résoudrait rien, mais précipiterait l’ensemble des partis de gouvernement dans une crise qui s’apparenterait de plus en plus à une étrange défaite.

Correctif, 12h58 : la citation de Marc Bloch a été reprise pour rétablir ses mots exacts.

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Le Monde

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