« Pirogue », « hélicoptère », « avion » : au mur des bureaux de José Renato Frazao Crespo, une pancarte indique la meilleure façon de rallier les bureaux de vote du haut rio Negro. « Je gère l’élection la plus compliquée du Brésil ! », rigole ce fonctionnaire de justice de 60 ans, corps robuste et bras tatoués, chargé de l’organisation du scrutin municipal du 6 octobre à Sao Gabriel da Cachoeira, une circonscription plus vaste que le Portugal, située aux confins de l’Amazonie. « On est rodés ! En vingt ans, on n’a jamais foiré une élection », assure-t-il.

« Sao Gabriel » porte avec fierté le titre de « plus grande ville indigène du Brésil ». Sa cachoeira (« cascade ») et ses chutes d’eau, riches en poissons, ont toujours servi de point de ralliement aux populations de la région, avant que les jésuites n’y fondent une mission au XVIIe siècle. Aujourd’hui, les trois quarts des 56 000 habitants de la cité revendiquent une origine autochtone. La municipalité abrite ainsi vingt-trois peuples différents, neuf terres indigènes et reconnaît trois idiomes (tukano, baniwa et nheengatu) comme langues co-officielles au côté du portugais.

A Sao Gabriel, l’Amazonie révèle l’un de ses plus beaux visages. Les eaux sombres du rio Negro serpentent entre des plages immaculées et charrient nombre de légendes. Ici, une indigène mélancolique se serait transformée en île solitaire. Là, un trou d’eau obscur abriterait un féroce serpent dévoreur d’hommes… Au loin, la chaîne des monts Curicuriari, à l’allure d’une femme allongée, a gagné le tendre surnom de « Belle endormie ».

Sur le marché de Sao Gabriel da Cachoeira (Brésil), le 30 septembre 2024.

Des semaines durant, à l’approche de l’élection, la bourgade s’est réveillée au son de bataillons de militants, drapeaux au poing, qui avaient envahi les rues de la « capitale indigène ». Dans cette ville, où l’élection se déroule en un seul tour, sept candidats se sont disputé le fauteuil de maire, et près de 130 ceux de conseillers municipaux. Pour se distinguer de la masse, certains ont usé de surnoms cocasses : « Dudu de la plage », « Hernane gros chien », « Mauricio du sandwich » , « Professeur petit rat » et même un inattendu « Frank Sinatra ».

A la différence des anciens leaders, tel le cacique Raoni Metuktire, âgé 92 ans, qui n’a jamais participé au moindre scrutin, la nouvelle génération indigène est entrée de plain-pied dans le jeu politique. Une avancée fondamentale pour les 278 peuples du pays, décimés par la colonisation et maintenus à l’écart du pouvoir. Sept indigènes siègent désormais au Congrès de Brasilia et 2 400 candidats autochtones se sont présentés cette année aux municipales à travers le pays, soit 14 % de plus qu’en 2020.

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