Avant de grimper dans la Toyota Land Cruiser qui va lui servir de taxi pour la journée, Bruno Kouakou enfile une chasuble du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et relit machinalement ses fiches, le visage fermé. Il connaît pourtant sur le bout des doigts l’histoire des familles auxquelles il va rendre visite, mais se sait très attendu et veut éviter toute erreur, tout malentendu. Ce quinquagénaire chauve aux fines lunettes noires occupe un poste sensible. Au siège de l’organisation humanitaire à Abidjan, la capitale économique ivoirienne, il est l’un des quatre membres de l’unité Rétablissement des liens familiaux, chargée de retrouver l’identité des personnes disparues à la demande de familles qui ont perdu des proches durant leur périple vers l’Europe.

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En Côte d’Ivoire, d’où partent chaque année des milliers de jeunes hommes et femmes en direction de l’Afrique du Nord et de l’Europe, de nombreuses familles restent sans nouvelles d’un proche, parfois pendant plusieurs années. Isolées et impuissantes, elles se transmettent le numéro de Bruno Kouakou comme on se passe celui d’un bon avocat, en espérant glaner des informations pour retrouver ce frère, ou cette cousine, « parti à l’aventure » – selon l’expression ivoirienne pour parler de la migration –, et dont le silence laisse craindre le pire.

Il est difficile de savoir combien de familles sont concernées par ces disparitions, combien ont pu retrouver leur proche, vivant ou mort. La migration est un sujet sensible : les autorités ivoiriennes s’agacent de voir le pays présenté comme une terre de départ. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les flux d’émigration en provenance de Côte d’Ivoire ont fortement augmenté, passant de 3 800 personnes en 2000 à près de 13 500 en 2019. Engagé aux côtés du gouvernement sur la question migratoire, le CICR est prudent et affirme ne pas disposer « de chiffres consolidés » sur le nombre de disparus. L’orga­nisation humanitaire indique juste avoir « résolu le sort de 20 migrants » en 2023, en retrouvant leur trace ou en confirmant leur mort.

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