Après six jours de traversée, les réserves d’eau potable épuisées, le fond de la pirogue rempli d’eau, Mohmed (le nom des mineurs n’est pas rendu public) a entendu des cris dans la nuit sans lune et le bruit de deux corps tombant à l’eau. Selon ce Gambien de 15 ans, deux personnes prises de folie ont sauté dans les profondeurs de l’océan Atlantique. Le lendemain, le reste des passagers, partis du Sénégal, a accosté aux Canaries. « Chaque nuit, depuis qu’il est arrivé il y a quinze jours, on entend ses pleurs », raconte Gabriel Orihuela, le directeur du centre pour mineurs étrangers non accompagnés (menas, selon leur acronyme espagnol) de Tindaya, à Las Palmas de Grande Canarie, où le jeune est suivi par un psychologue.

Perché sur les collines du quartier de Tafira, dans le sud de la capitale des Canaries, le centre de Tindaya accueille, dans un ancien monastère abandonné, quatre-vingts jeunes âgés de 12 à 18 ans, principalement maliens, sénégalais et marocains. Une vingtaine d’entre eux vient tout juste d’être transférée de la petite île d’El Hierro où, chaque semaine, accostent des centaines de migrants. En cette matinée de la fin septembre, les jeunes sortent de cours et discutent dans les couloirs, jouent à FIFA sur leur téléphone, courent vers la cantine ou se rendent à la mosquée installée près du patio.

Dans la mosquée créée à l’intérieur du bâtiment, à Grande Canarie (Espagne).

Ils tapent chaleureusement dans la main de Gabriel à son passage. « Le matin, ils suivent des cours d’espagnol, l’après-midi, des activités sont organisées. Les moins de 16 ans sont scolarisés dans des écoles de Las Palmas, les autres peuvent suivre des formations professionnelles, apprendre à rédiger un CV, effectuer des stages, explique M. Orihuela. Dans l’idéal, pour prendre en charge correctement ces jeunes, ce centre ne devrait pas en accueillir plus de cinquante, car nous essayons de recréer une ambiance qui soit la plus proche possible d’une vie de famille et de favoriser leur intégration. Mais nous en acceptons quatre-vingts, car la priorité est de couvrir l’urgence. »

Protocole controversé

Entre le 1er janvier et le 30 septembre, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, plus de 40 000 migrants sont arrivés sur l’archipel espagnol situé face au Sud marocain. C’est le double du nombre relevé pour les neuf premiers mois de 2023. Entre 8 % et 10 % d’entre eux sont des mineurs isolés, automatiquement placés sous la tutelle du gouvernement canarien et répartis dans des centres spécialisés.

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Or, avec 5 500 mineurs isolés accueillis sur l’archipel, ce système est « au bord de l’effondrement », assure Alfonso Cabello, le porte-parole du gouvernement canarien, une coalition entre le parti régionaliste Coalition canarienne (CC) et le Parti populaire (PP, droite). « En treize mois, nous sommes passés de vingt-huit centres à 81 et nous avons de grandes difficultés à trouver du personnel spécialisé, des éducateurs, des psychologues, des traducteurs. Cela représente 14 millions d’euros par mois et nous n’avons encore reçu aucun fonds du gouvernement central cette année. Nous avons l’obligation de donner un projet de vie et une intégration sociale à ces jeunes, c’est pourquoi nous demandons une solution stable et un financement adapté. »

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