Dans les rues de Montpellier, Sandrine nous montre la photo d’une préadolescente sur son mobile. « C’est ma fille, elle vit à l’autre bout de la France. Je lui parle régulièrement en visio. Si on n’a pas de téléphone, on n’a plus rien », confie cette dame vivant dans sa voiture depuis trois mois.

« Pour les SDF, le smartphone a transformé l’expérience de la survie, juge Thibaut Besozzi, sociologue et fin connaisseur du phénomène. Ils sont moins en rupture avec leurs proches, moins marginalisés. » De fait, la plupart des sans-domicile-fixe (SDF) interrogés par Le Monde sont très attachés à ce précieux auxiliaire, qu’ils vivent en centre d’hébergement, comme la grande majorité, ou qu’ils soient régulièrement sans abri, comme 15 % d’entre eux environ. Le smartphone leur est utile pour les tâches administratives, les loisirs, le lien social.

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Hayk, qui témoigne sous pseudonyme, a passé des années à la rue, dont trois sans contact avec sa famille en Arménie. « C’était dur. Grâce au smartphone, j’ai pu rediscuter avec eux à partir de 2016. » Alors, qu’importe si l’appareil est coûteux : les SDF en possèdent souvent un. D’après la dernière étude sur le sujet, réalisée par l’association Solinum en 2018 auprès de 285 SDF dans seize villes, 71 % en étaient équipés, contre 75 % des Français la même année – sans compter ceux qui possèdent un mobile ordinaire.

« Le smartphone m’a aidé à sortir de la rue », poursuit Hayk, qui vit désormais en foyer. Romain, travailleur social en centre d’hébergement d’urgence à Rennes, qui souhaite garder l’anonymat, raconte combien la solitude est palpable en ces lieux : « Beaucoup de SDF s’y renferment sur eux-mêmes, craignant d’être tirés vers le bas par les résidents. Alors certains passent de longues heures à échanger par téléphone : le mobile reste en fond sonore, comme si leur proche était dans la pièce. La nuit parfois, à cause du décalage horaire – ce qui génère des conflits. »

Maintenir des liens

Outre les contacts directs, le smartphone est aussi une porte d’entrée vers le monde des réseaux sociaux. Ainsi, Azraël, SDF depuis vingt ans, squatte à Montpellier et raconte que « Facebook [lui] a permis de retrouver des amis perdus de vue depuis longtemps ». Chez les SDF étrangers, qui représentent la majorité des SDF vivant en France et qui sont 83 % à posséder un smartphone, les réseaux sociaux permettent aussi de maintenir des liens, malgré la distance, avec leur communauté d’origine.

« Les Polonais se retrouvent sur des canaux Telegram, les Russes aussi », abonde Jean Stellittano, secrétaire national du Secours populaire, implanté à Nice. « Ces plateformes donnent aux SDF le sentiment de faire partie du monde. Elles leur permettent de cacher leur condition et de préserver leur dignité », estime Thibaut Besozzi.

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