Le village d’Antonio Do Brinco (Suriname), où sont installés des orpailleurs illégaux, vu depuis Maripasoula, située en Guyane française, le 22 mars 2024.

C’est un décor de Far West au XXIsiècle, avec des bicoques de bois érigées de part et d’autre d’une ruelle de terre ravinée par un jus d’excréments. On y marche partout sur les déchets en plastique, les chiens divaguent entre des amas de canettes de bière. Derrière des empilements de fûts métalliques vidés de leur gazole, un mécano couvert d’huile répare un quad.

En pleine forêt amazonienne, Yaou Passi est un triste et poisseux hameau de la ruée vers l’or planté sur la berge du Suriname face à la Guyane, avec vue imprenable sur la rivière Lawa, affluent du fleuve Maroni, depuis la terrasse de son supermarché chinois. Ce soir tombant de mars, deux prostituées en minishort continuent de jouer aux cartes, tandis que les clients se dispersent sans mot dire – torse nu derrière sa caisse, le gérant ventripotent du magasin a signifié d’un œil sans expression qu’il va baisser le rideau.

Ce comptoir d’orpailleurs illégaux brésiliens continue de vivre plus de dix ans après sa création, à un vrombissement de pirogue de Taluen, village amérindien français. Non loin de Maripasoula, la commune enclavée de l’ouest du département guyanais, Yaou Passi est une base logistique campée face à la France pour la piller. Alimentés depuis la Chine, peuplés de Brésiliens pauvres plein d’espoir, une centaine de camps similaires prospèrent sur cette frontière.

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En haut de Yaou Passi, dans un ancien trou creusé pour extraire l’or, une pisciculture vient tout juste d’être aménagée : de cette eau polluée au mercure émergent trois gigantesques fromagers morts aux troncs devenus noirs. Des tambaquis, une espèce invasive importée du Brésil, fraient juste sous la surface. Le travailleur qui vit là espère bientôt les vendre aux commerçants chinois de Maripasoula, « trois tonnes », pense-t-il.

Une certaine impunité

Le World Wildlife Fund (WWF, Fonds mondial pour la nature) soutient un tout autre projet, nettement plus vertueux, de préservation de la ressource à Taluen, chez les Wayana. L’ONG internationale bataille depuis vingt ans contre le désastre écologique et humain annoncé ici, où l’extraction sauvage de l’or détruit tout, sols, eau, faune, forêt. Le long du Maroni, 100 000 personnes dépendent de la qualité des eaux fluviales pour leur vie quotidienne.

Selon une recherche du laboratoire Evolution et diversité biologique du CNRS publiée en 2022, sur le Maroni et l’Oyapock, en Guyane, « une déforestation légère liée à l’orpaillage, touchant environ 10 % du couvert en amont, entraîne 30 kilomètres plus loin en aval une chute de 25 % de la biodiversité chez les poissons et de 40 % parmi les mammifères terrestres ». L’héritage de cent soixante-quinze ans d’extraction en Guyane, « plusieurs centaines de tonnes de mercure » déversées dans les sols, « est déjà bien encombrant », note le sociologue du CNRS François-Michel Le Tourneau, un des meilleurs connaisseurs des mineurs clandestins.

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