Depuis plus de vingt ans, Elzbieta Janicka se rend à Treblinka au moins deux fois par mois. Elle connaît tous les recoins du camp, et certaines choses sont connues seulement d’elle. Comme cette petite cache où elle dépose fragments d’os, dents, bouts de monture de lunettes, tessons de carrelage des chambres à gaz, ou cette saisissante prothèse dentaire au palais rouge vif, autant d’éléments glanés au cours de ses visites.

Sur le site de Treblinka II, le camp d’extermination où furent brûlés près d’un million de juifs dans de gigantesques bûchers à ciel ouvert, il suffit d’être attentif pour en trouver partout, et encore davantage en été, quand les taupes viennent remuer la terre grasse et molle.

« Cette étendue déserte qu’entourent des barbelés a englouti plus d’existences humaines que toutes les mers et tous les océans du globe depuis qu’existe le genre humain », écrit le journaliste soviétique Vassili Grossman (1905-1964) dans L’Enfer de Treblinka (Ed. Arthaud, 1945). Arrivé sur les lieux en septembre 1944, il observait déjà comment cette terre, houleuse et sans fond, « qui ne veut pas être complice », vomissait les preuves que les nazis avaient voulu ensevelir.

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Mais ce ne sont pas ces preuves-là qu’Elzbieta Janicka vient chercher ici. Cette femme de 53 ans, chercheuse à l’Institut d’études slaves de l’Académie polonaise des sciences, ne décolère pas contre le récit fait par les institutions nationales de l’histoire de la Shoah. « C’est comme si une croisade avait été lancée, affirme-t-elle dans un français parfait. Pour asséner la symétrie des destins polonais et juifs d’abord, pour la primauté polonaise dans le martyre ensuite. » Et, de cela elle voit des preuves partout.

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