Impossible de se méprendre : l’homme assis en fond de salle, avec son visage rond, sa peau mate et ses yeux en amande, est bien celui que nous cherchions. Quoique polonais depuis des générations, Adam Swierblewski, 58 ans, ne se confond pas avec la clientèle de ce restaurant de la banlieue de Bialystok, dans le nord-est de la Pologne. Il fait partie de l’ethnie tatare. Propriétaire, avec sa femme, également tatare, de ce lieu nommé Halva, où l’on peut déguster une pâte à base de sésame ou un feuilleté farci de bœuf et de pommes de terre, il désigne sur les murs de vieilles photos sépia. Des portraits d’hommes et de femmes en redingote ou robe noire austères qui rappellent la vieille Europe, n’eussent été, ici encore, les traits particuliers de ces ancêtres aux yeux étirés et à la chevelure sombre. « Je sais d’où je viens, et j’en suis fier », énonce Adam Swierblewski.

La mémoire des steppes d’Asie, point de départ au XIIIe siècle de chevauchées tumultueuses et de razzias multiples vers l’Ouest menées par ses lointains ascendants, a disparu. Mais elle s’est enracinée ici, des années plus tard, dans les marécages et les forêts primitives de la Podlachie, le long de la frontière avec la Biélorussie, où des fantassins de la Horde d’or fondée par Batu (vers 1205-1255), le petit-fils de Gengis Khan (1162-1227), et composée d’envahisseurs mongols et de Kipchaks, des tribus turcophones vassales, se sont établis pour ne plus jamais en repartir.

Leurs descendants directs, connus sous le nom de Tatars, y résident toujours, formant l’une des plus anciennes minorités musulmanes européennes. « Les premiers documents attestant de leur présence datent de 1397 », souligne Agata Nalborczyk, cheffe du département d’études sur l’islam européen à l’université de Varsovie et autrice de nombreux ouvrages et articles sur les Tatars. Cette ethnie, alors dispersée au carrefour de la Lituanie, de la Biélorussie et de la Pologne, est restée largement méconnue. Et discrète. De père lituanien, l’acteur américain Charles Bronson (1921-2003), né Karolis Bucinskis, ne mettra jamais en avant ses origines tatares.

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