Kyiv, le 23 juillet 2025,
Chères lectrices, chers lecteurs,
Depuis ma dernière lettre, je me suis un peu revigorée. Ou, plutôt, je me suis adaptée à ces nouveaux défis auxquels la guerre nous confronte. Les attaques de centaines de drones et de missiles sur la ville nous ont forcés à changer notre routine nocturne. Désormais, en cas de danger, nous ne restons pas dans le couloir de l’appartement, nous descendons au rez-de-chaussée de notre immeuble.
Dès qu’on voit les notifications sur les lancements de drones de la frontière russe, on se prépare. On prend deux chaises pliantes, un sac à dos avec de l’eau et de la nourriture, nos papiers d’identité, des bijoux et des photos. La poussette de Marian est tout le temps prête avec des draps et son ourson. Si les drones franchissent les banlieues de Kyiv [Kiev, en ukrainien], nous descendons dans le hall qui est entouré de murs épais. Ça nous rassure un tout petit peu, c’est mieux que de rester à notre étage.
Hier, le 22 juillet, à 20 heures, près de chez moi, quelque chose d’assez incroyable s’est passé. Sur la place devant le Théâtre Franko, qui est le lieu public le plus accessible à proximité du bureau du président, des milliers de gens se sont rassemblés pour manifester contre l’adoption d’une loi qui entend contrôler deux instances de lutte contre la corruption à très haut niveau : le NABU et le SAP.
Le NABU est le Bureau national anticorruption, il a été créé en 2015 à la suite de la « révolution de la dignité » sur la place Maïdan. Sa mise en place était une des conditions nécessaires pour que les Ukrainiens puissent entrer dans l’Union européenne sans avoir besoin de visa. Peu après est né le SAP, un parquet spécialisé dans la lutte contre la corruption. Avec la nouvelle loi, les deux agences passent sous le contrôle du procureur général, lui-même nommé par le président. Cette décision a été validée par notre Assemblée, dont la majorité est acquise au parti présidentiel. C’est la première fois depuis le début de la grande invasion que des Ukrainiens manifestent contre le gouvernement. En théorie, la loi martiale l’interdit.
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