De la fumée s’élève à Mogadiscio après le crash d’un hélicoptère de l’Union africaine, le 2 juillet 2025.

Les récentes pertes de l’armée somalienne face à une nouvelle offensive menée depuis plusieurs mois par les djihadistes chabab font perdre espoir aux pays qui ont dépensé des milliards de dollars pour aider Mogadiscio à combattre l’insurrection.

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Plus tôt ce mois-ci, des centaines de Chabab, dont les militants sont liés à Al-Qaida, ont repris la ville de Moqokori, située à environ 300 kilomètres au nord-est de la capitale, Mogadiscio, dans un assaut lors duquel ils ont fait exploser des véhicules bourrés d’explosifs. Cette victoire leur a conféré une position géographique stratégique pour étendre leurs attaques à la région de Hiiraan.

L’avancée a aussi constitué une victoire symbolique sur une milice clanique locale qui avait longtemps constitué la « meilleure force de combat » du gouvernement contre les Chabab, pointe Omar Mahmood, de l’International Crisis Group. Le gouvernement somalien, qui lutte contre le groupe islamiste depuis le milieu des années 2000, est aujourd’hui confronté à une situation complexe : déclin du soutien international, armée démoralisée et luttes politiques internes.

Favoritisme politique

Le gouvernement s’est appuyé sur les milices locales pour mener une campagne victorieuse en 2022-2023, reprenant quelque 200 villes et villages aux djihadistes. Mais les insurgés ont cette année reconquis environ 90 % du territoire perdu, estime Rashid Abdi, du groupe de réflexion Sahan Research. Des villes censées servir de modèles de stabilisation, comme Masaajid Cali Gaduud et Adan Yabal, sont tombées. Trois ponts le long de la rivière Shebelle, essentiels aux lignes d’approvisionnement militaire, ont été détruits.

« Toute la zone du nord-ouest au sud-ouest de Mogadiscio est désormais largement contrôlée par les Chabab », explique Rashid Abdi à l’Agence France-Presse (AFP). La campagne des milices locales a échoué, ajoute-t-il, car le gouvernement du président Hassan Cheikh Mohamoud « s’est montré incapable de collaborer avec les clans », accordant des pouvoirs à certains par favoritisme politique plutôt que par nécessité militaire.

Lors de la première phase de l’offensive contre les Chabab, en 2022, « tout le monde était fortement impliqué dans les combats en aidant l’armée nationale », pointe auprès de l’AFP Mohamed Hassan, membre d’une milice locale à Hiiraan. Aujourd’hui, « les dirigeants ne sont plus impliqués et il semble y avoir une désorganisation dans la mobilisation des milices communautaires », ajoute-t-il.

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L’armée somalienne n’a pas fait grand-chose pour endiguer les insurgés, ce qui n’est pas surprenant pour une force « encore en phase de développement tout en essayant de mener une guerre », souligne Omar Mahmoud. Son arme la plus efficace, le commando Danab, formé par les Etats-Unis, est plus efficace pour tuer des militants que pour tenir des territoires et a subi des pertes démoralisantes, ajoute Rashid Abdi. « Nous commençons à voir une armée non seulement dysfonctionnelle, mais qui perd aussi la volonté de se battre », pointe-t-il.

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Les problèmes découlent du chaos politique somalien, où une mosaïque de revendications claniques n’a jamais abouti à un consensus national. Le gouvernement a promis une nouvelle offensive militaire mais est davantage concentré sur l’organisation de la toute première élection au suffrage universel, l’année prochaine, dont la tenue est mise en doute par un diplomate occidental : même à Mogadiscio, où la sécurité est la plus forte, « n’importe quel bureau de vote serait bombardé », avance-t-il sous couvert d’anonymat.

Nouveaux partenaires

Les Chabab n’ont pas lancé d’assaut important contre la capitale mais ont démontré leur présence à plusieurs reprises. Les tirs au hasard contre l’aéroport sont à leur plus haut niveau, selon le diplomate, et le président a survécu de justesse à une attaque contre son convoi devant le palais présidentiel en mars.

Le groupe, « une des insurrections les plus prospères d’Afrique », selon Rashid Abdi, taxe plus que l’Etat et contrôle une grande partie de l’économie. Pendant ce temps, les bailleurs de fonds étrangers du gouvernement perdent patience. L’Union européenne (UE) et les Etats-Unis ont investi plus de 7 milliards de dollars (près de 6 milliards d’euros) dans la sécurité somalienne, principalement dans diverses missions dirigées par l’Union africaine (UA) depuis 2007, selon l’Institut d’études de sécurité de l’UE. La précédente mission de l’UA a pris fin en décembre, mais les forces somaliennes étant incapables de prendre le relais, elle a dû être immédiatement remplacée par une nouvelle, baptisée « Aussom ».

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« Il y a une lassitude énorme chez les bailleurs de fonds. Les gens se demandent : “Qu’avons-nous acheté ces dix dernières années ?” », selon le diplomate. Et de nombreux bailleurs de fonds, en particulier Washington, hésitent à continuer de financer la mission de l’UA. Omar Mahmoud estime qu’elle réunira les deux tiers de son financement pour 2025 : assez pour maintenir les activités, certes, « mais il y a clairement un déficit chronique ».

La Somalie a conclu des accords avec de nouveaux partenaires, comme les Emirats arabes unis, le Qatar et l’Egypte. La Turquie a déployé environ 500 soldats, appuyés par des drones, pour renforcer la sécurité à Mogadiscio. Mais elle préfère protéger des investissements comme un futur port spatial turc, selon Omar Mahmoud, plutôt que de mener la lutte contre les Chabab. Pour Rashid Abdi, « nous sommes confrontés à une situation très inquiétante ».

Le Monde avec AFP

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