Ce jour-là, Monique Chedozeau avait 7 ans. Elle vivait à Maillé, en Touraine, dans la ferme du Moulin, avec ses parents, Henri, 53 ans, et Alphonsine, 45 ans, ainsi que ses trois frères et sœur, Gilbert, 12 ans, Jean-Louis, 5 ans, et Christiane, 18 ans. Le Moulin était l’une des plus grandes fermes du village et Henri cultivait plusieurs hectares de champs alentour. Il venait de finir les moissons. Vers 9 heures, la famille est intriguée par le bruit cadencé de bottes qui s’approchent, nombreuses. Avec la présence de plusieurs bataillons de l’armée allemande dans le camp de Nouâtre voisin, les habitants sont coutumiers des allées et venues des soldats, mais, ce matin du 25 août 1944, leur pas n’est pas le même.
« Je les entends encore », raconte dans sa maison de Maillé, Monique Chedozeau, aujourd’hui âgée de 87 ans, un chignon blond noué sur la nuque. « Mes frères et sœur et moi sommes descendus à la cave avec maman et les chiens. Nous avons entendu les tirs, les cris, le feu, les craquements de la maison. Papa a été tué avec son frère. Les Allemands, qui étaient environ quatre-vingts, ont brûlé la ferme avant de passer à la suivante », continue la survivante. Les enfants et leur mère s’échappent de la maison en feu. Ils se cachent sous un pont, les pieds dans le ruisseau pendant des heures, laissant les corps de leur père et de leur oncle derrière eux. « Nous sommes restés absolument silencieux, tétanisés. Même les chiens ne bougeaient pas », se remémore Monique, dont le dernier frère, Jean-Louis, est mort en 2022.
Pendant toute la matinée, les soldats SS vont entrer dans les maisons, les cours des fermes, les quelques commerces du village pour assassiner les habitants – hommes, femmes, enfants, bébés dans leur berceau, ainsi que les animaux… Au total, cent vingt-quatre personnes seront exécutées au fusil, à bout portant, à la baïonnette, à la grenade ou au couteau. Maillé est, après Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), le plus important massacre de civils en France pendant la seconde guerre mondiale. Il n’a pourtant pas été retenu par l’histoire nationale, qui a préféré associer cette date à celle de la Libération de Paris. Aujourd’hui, Maillé s’apprête à commémorer dans l’indifférence le triste anniversaire du drame qui le percuta il y a quatre-vingts ans.
Quarante-huit enfants de moins de 15 ans
Au-delà de la région de Tours, rares sont ceux qui connaissent cette tragédie. « Par définition, les massacres de civils n’ont laissé que peu de témoins. En outre, la mémoire nationale s’est focalisée sur la déportation, explique l’historien Tal Bruttmann. Par un choix politique du général de Gaulle, la violence sur le territoire français n’a pas été mémorialisée, à part Oradour, qui a été investi par l’Etat et dont les ruines et les six cent quarante-trois victimes symbolisent à elles seules le martyre des civils sous l’Occupation allemande. La Résistance a elle aussi été privilégiée, et ce sujet a longtemps été négligé par les historiens. »
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