La Cour des comptes a réévalué le coût total de la construction de l’EPR de la centrale nucléaire de Flamanville (Manche), soit 23,7 milliards d’euros.
Les magistrats financiers demandent à l’État et à EDF de lever les « incertitudes » sur le financement de la relance du nucléaire français.
Ce mardi 14 janvier, la Cour des comptes a appelé l’État et EDF à lever les nombreuses « incertitudes » avant de poursuivre le vaste programme de construction de nouveaux réacteurs nucléaires EPR (Réacteur Pressurisé Européen), dont le financement reste flou. Dans un rapport critique de 97 pages, la juridiction financière estime que « l’accumulation de risques et de contraintes pourrait conduire à un échec du programme d’EPR2 », rappelant que l’EPR de Flamanville en Normandie a été connecté au réseau électrique 12 ans après la date prévue, le 21 décembre dernier. L’EPR2 est une version améliorée de l’EPR, dont EDF a présenté un programme de construction de trois paires en 2021. La construction de huit autres est à l’état de projet.
Les « incertitudes préoccupantes » de la Cour des comptes
« Les incertitudes les plus préoccupantes portent sur les retards d’avancement de la conception de l’EPR2, l’inconnue sur le coût des trois premières paires (de réacteurs) et l’absence de financement du programme », a souligné le premier président de la Cour des Comptes, Pierre Moscovici, devant la presse.
Après un chantier émaillé de déboires et d’aléas techniques, les coûts de Flamanville 3, premier réacteur nucléaire à démarrer depuis 25 ans, ont explosé par rapport au devis initial de 3,3 milliards d’euros. Selon la Cour, EDF estime aujourd’hui son coût total à 19,3 milliards en euros de 2015, soit 22,6 milliards d’euros de 2023, « coût de financement compris ». « En réalité, le coût total à terminaison de Flamanville 3 est plus élevé et atteint 20,4 milliards » en euros de 2015, « soit 23,7 milliards » en euros de 2023, a calculé la Cour dans ce rapport de suivi consacré à la filière EPR, le réacteur de nouvelle génération au cœur de la relance du nucléaire en France.
Le coût de Flamanville revu à la hausse
Cette réévaluation de 1,3 milliard par rapport à son précédent rapport en 2020 (19,1 milliards en euros de 2015) tient compte d’ajustements dans le calcul de provisions présentées par EDF et dans le calcul du coût de financement. Après les « dérives » de coûts et de calendrier des projets d’EPR d’EDF à Flamanville, en Finlande et au Royaume-Uni, les magistrats financiers évoquent des risques « persistants » malgré des efforts pour restructurer une filière appelée à tenir le cap de la relance de l’atome fixé par Emmanuel Macron en novembre 2021.
En février 2022, le président avait annoncé depuis Belfort vouloir construire six nouveaux réacteurs de nouvelle génération EPR2 avec une option pour huit autres, rompant avec de longues années de jachère nucléaire. Depuis, EDF, renationalisée, a réorganisé sa gouvernance et rationalisé ses processus, mais la filière « est loin d’être prête », pour la Cour.
« Sécurisation du financement »
« La rentabilité prévisionnelle du programme EPR2 reste à ce stade inconnue, d’autant que les conditions de financement (…) ne sont toujours pas arrêtées », ajoutent les magistrats financiers, qui relèvent en outre qu’EDF refuse toujours de leur transmettre des informations « sur la rentabilité et le coût de production prévisionnels » de Flamanville et de l’EPR2, comme demandé en 2020. Or, la Cour prévoit « une rentabilité médiocre pour Flamanville 3 ».
Au vu des incertitudes, la Cour demande de « retenir la décision finale d’investissement du programme EPR2 », envisagée pour début 2026 par EDF, « jusqu’à la sécurisation de son financement et l’avancement des études de conception détaillée », une étape débutée seulement en juillet 2024. Elle recommande en outre de « limiter l’exposition financière d’EDF » dans ses projets d’EPR à l’étranger et de « s’assurer » que tout nouveau projet international nucléaire « ne ralentisse » pas les calendriers en France.
Selon un chiffrage d’EDF de fin 2023 et dans l’attente d’une réévaluation, le coût de construction des six premiers EPR2 a déjà flambé de 30%, de 51,7 milliards à 67,4 milliards d’euros, « à conditions économiques inchangées et hors effet de l’inflation », précise la Cour des comptes.