L’auteur de ces lignes a 47 ans. Il est français et il est juif. Pendant des décennies, cette double identité ne lui pesait pas le moins du monde. Il la portait avec une discrétion que la conscience de l’histoire teintait d’une humble fierté.

Depuis dix-huit mois, tout a changé. Cet aveu me coûte : il me faut surmonter une certaine crainte pour publier cette tribune. Celle de l’isolement ; celle d’être ramené à une condition dont j’aurais préféré ne pas avoir à me justifier. C’est d’abord de cette crainte que je veux faire état. Car le simple fait qu’elle soit irrépressible dit beaucoup de notre pays et de ses dérives.

« C’est pas facile d’être juif » : que s’est-il passé pour que ces mots de Charles Péguy, écrits en 1910 dans Notre jeunesse, puissent s’appliquer à la France de 2025 ? L’antisémitisme s’est installé dans l’air du temps. Il est là, chaque jour, comme inconscient de lui-même. Il ne surgit plus seulement à l’occasion d’un de ces accidents qu’une société vigilante savait naguère reconnaître et sanctionner – comme en 2014, lorsque l’on avait pu arrêter les spectacles dans lesquels Dieudonné outrageait les juifs et, en mêlant la vulgarité à l’abjection, se moquait de leurs martyres passés et de leurs angoisses présentes. Aujourd’hui, les petits Dieudonné prospèrent par milliers, de l’Assemblée nationale aux chaires d’université. Leur haine tranquille devient une pensée dominante.

Les mots ont perdu leur sens

Ce naufrage, comme toutes les faillites morales, a commencé par une affaire de vocabulaire. Les mots ont perdu leur sens. En particulier deux d’entre eux, dont l’usage déréglé a beaucoup contribué à heurter la conscience juive en France : le mot « génocide » et le mot « sioniste ».

« Génocide » : ce n’est pas à propos, par exemple, de la guerre soudanaise de 2023, de ses dizaines de milliers de morts et de ses millions de déplacés, que ce terme s’est installé dans l’opinion. Non, il a été soigneusement retourné, avec une forme de raffinement dans la perversité, contre le pays qui fut conçu pour servir de refuge aux survivants de l’extermination des trois quarts des juifs d’Europe. Et il a été martelé jusqu’à ce qu’advienne l’offense absolue, celle qui nazifie le nom d’Israël. Les juifs, qui sont, dans leur cœur et dans leur chair, des orphelins de la Shoah, se retrouvent grimés en héritiers de leurs bourreaux. C’est un poignard qui s’enfonce, jour après jour, dans la mémoire juive blessée.

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