Livre. Longtemps catalogué comme subversif, tabou, voire lancé telle une insulte, le terme « féminisme » n’est plus un gros mot. Depuis 2017 et la déferlante #metoo, son usage s’est répandu dans tous les espaces de la société et partout dans le monde, au point – c’est la rançon du succès – que se retrouvent parfois aujourd’hui sous ce même étendard des personnalités, des mouvements et des courants de pensée que tout oppose, et en particulier leur compréhension dudit féminisme.

Le féminisme perd ainsi en clarté : cela tombe bien, car « s’emparer d’un mot dévoyé par la langue au pouvoir (…) pour le rendre à ce qu’il veut dire » est la mission que s’est donnée la maison d’édition Anamosa, avec sa collection « Le mot est faible ». Pour ce nouvel opus, la sociologue Eléonore Lépinard, professeure en études de genre à l’université de Lausanne, s’est ainsi attelée à redonner au terme tout son sens (Féminisme, Anamosa, 112 pages, 9 euros).

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Première difficulté, le féminisme est un projet ancien, chaque fois historiquement situé, avec des objets, des méthodes et des références toujours renouvelés. Et, quand bien même on s’en tiendrait aux féminismes d’aujourd’hui, il y en a autant que de féministes, qui « affirment chacune incarner la “bonne” version de ce projet pour toutes », souligne la sociologue.

Pour sortir de cette impasse, elle propose, plutôt que de se concentrer sur les luttes et les revendications, de tourner son regard vers les conflits et les dissensions qui ont pris place en son sein, dans l’espoir d’y trouver la substantifique moelle du projet politique dont le féminisme est le nom.

Une communauté et une éthique

De manière faussement évidente, le féminisme serait avant tout un mouvement « au nom des femmes ». Problème : depuis Monique Wittig, Christine Delphy et Judith Butler, dire ce que sont « les femmes » paraît bien hasardeux. Définir le féminisme par l’identité « femmes » est d’autant moins aisé que le recours à un « sujet femmes universel » a souvent conduit à l’invisibilisation ou à l’exclusion de certaines femmes et de leurs revendications – les femmes noires, lesbiennes ou trans, en particulier. Cela ne revient pas à dire, selon l’autrice, que le féminisme soit un projet politique sans sujet ; seulement que cette collectivité doit rester « hétérogène », « incertaine » et « ouverte ».

Mais que dit-on alors lorsque l’on se dit féministe ? Une multitude de choses, que ce petit ouvrage ne peut que brièvement retracer : le féminisme met des mots sur « une réalité sans nom, un malaise indicible, une expérience de marginalisation » ; il désigne un ennemi sans le rejeter vraiment ; il dessine des désirs d’émancipation. Surtout, le féminisme présuppose l’égalité dès maintenant : entre hommes et femmes, bien sûr, et aussi… entre féministes. Le féminisme, conclut Eléonore Lépinard, est à la fois une communauté et une éthique : « Une exigence de changer de perspective, de décentrement pour adopter le point de vue de l’autre, mais surtout de l’autre qui a le moins de pouvoir. » Un travail infini de déconstruction et de redistribution, à la fois individuel et collectif.

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