Fred Forest, en 2016.

A 90 ans, Fred Forest n’a rien perdu de sa pugnacité. Fin janvier, lors du vernissage de l’exposition que lui consacre (enfin) le Centre Pompidou, il était monté sur une estrade avec son fauteuil roulant, aidé par son fils, comme il serait monté sur un ring, tendant l’oreille et prêt à répondre « à toutes les questions », notamment les plus grinçantes, sur ses relations avec cette institution qui l’accueille, et avec laquelle il a toujours entretenu des rapports complexes. Provocateur assumé, l’artiste n’aime rien tant que s’infiltrer dans les failles, celles du marché de l’art et des médias notamment, pour créer du dialogue, du débat, et des œuvres.

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S’il a longtemps ferraillé avec le Musée national d’art moderne (MNAM) − qui ignorait son travail −, c’est sur la question du prix de l’art. Au milieu des années 1990, il lui avait ainsi intenté un procès pour l’obliger à dévoiler le prix d’achat (trop cher, selon lui) des œuvres qui viennent enrichir les collections de l’institution publique. En 1997, le Conseil d’Etat avait finalement donné raison à cette dernière. Ce qui n’avait pas empêché l’artiste, pourfendeur des puissances de l’argent et de la spéculation dans le monde de l’art, de relancer le débat en 2010, à l’occasion de l’achat par le MNAM d’une performance de Tino Sehgal transmise oralement.

Encart de publicité blanc

La réconciliation se sera engagée en 2023, lorsque le musée acquiert – par don de l’artiste – le NFT qu’il a conçu à partir d’une de ses « actions » visionnaires de 1996 : la toute première vente aux enchères d’une œuvre dématérialisée, Parcelle réseau (l’URL d’une œuvre en ligne). « Je suis le mécène le plus important du Centre Pompidou car un concept n’a pas de prix ! », s’amuse celui qui avait ainsi anticipé l’esprit du NFT.

Avec Le Monde aussi, Fred Forest a une histoire particulière, commencée par un long silence : pendant deux ans, au début des années 1970, l’artiste avait déposé « plus de quarante dossiers par courrier » au service culture du journal, avant de changer de stratégie en s’adressant au service de la publicité et en accédant au directeur administratif. Sa détermination et sa force de conviction avaient fini par payer : le 12 janvier 1972, il publiait en ouverture des pages culture, en lieu et place d’un encart de publicité, son tout premier « space media », soit un espace blanc offrant aux lecteurs une surface de libre expression pour une exposition.

Transgressive et participative, l’intervention artistique avait ensuite essaimé dans la presse internationale, à la radio et à la télévision (avec à la clé des interruptions d’antenne). Du jour au lendemain, le voilà devenu un artiste reconnu, qui s’approprie les technologies des médias comme supports artistiques, en bousculant les rapports verticaux. Son exploration critique du potentiel émancipateur des technologies de la communication l’amènera à ouvrir un laboratoire social dans l’environnement virtuel Second Life, en 2008, en réaction à la crise financière. Entre-temps, il aura cofondé deux mouvements artistiques : le Collectif d’art sociologique, en 1974, et l’esthétique de la communication, en 1983.

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