Une manifestation organisée par le mouvement des « gilets jaunes », le 20 avril 2019, à Paris.

Près de six ans ont passé depuis le grand débat national, cette consultation citoyenne lancée par Emmanuel Macron entre le 15 janvier et le 15 mars 2019 en réponse aux manifestations des « gilets jaunes ». Cet exercice démocratique – inédit à l’époque moderne – avait abouti au recueil de « 19 000 cahiers citoyens » restés finalement dans l’ombre.

L’Assemblée nationale a appelé le gouvernement, mardi 11 mars, à mettre la lumière sur ce « trésor national », selon les mots de la députée écologiste de la Drôme Marie Pochon à l’origine d’une résolution, adoptée à l’unanimité, demandant une large diffusion et une restitution de ces cahiers de doléances.

« Des milliers de cahiers noircis, des colères, des espoirs, des histoires de vie, des préoccupations et des propositions de nos concitoyens », mais « des cahiers qui, malgré la promesse présidentielle, ne seront jamais rendus publics », a-t-elle déploré à la tribune de l’hémicycle. « On les retrouve alors dans les archives, soigneusement gardés, parfois encore dans les tiroirs des mairies », a ajouté l’élue.

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En effet, la plupart de ces « doléances » reposent dans les archives départementales partout en France, et ne sont guère ouvertes que par des chercheurs. Le public, qui y a souvent accès sans le savoir, s’y fait rare.

Trouver des techniques pour anonymiser les contributions

Cette résolution appelle notamment le gouvernement à « rendre publiques ces doléances sur une plateforme » en ligne ouverte à tous. Pour se faire, l’Etat doit finaliser et financer « la numérisation de chaque cahier de doléances » mais aussi « leur anonymisation ».

Car lorsque les citoyens ont écrit leurs doléances – parfois en dehors du cadre du grand débat national, certains gilets jaunes le faisant dès novembre 2018 –, ils ont souvent livré sur papier des récits très personnels, y laissant parfois des éléments susceptibles de les identifier. La loi prévoit ainsi de ne pouvoir mettre à disposition ces archives que cinquante ans après leur dépôt afin de protéger le secret de la vie privée.

En réponse, le gouvernement a annoncé s’engager à chercher de « nouvelles solutions techniques pour anonymiser les contributions et permettre [ainsi] un accès en ligne au contenu des cahiers de doléances », selon le ministre des relations avec le Parlement, Patrick Mignola, dans l’hémicycle. Il a notamment évoqué des tests pour « anonymiser » et « analyser » les contenus déjà numérisés avec le recours à l’intelligence artificielle, et promis d’associer à son pilotage un comité constitué de parlementaires, d’élus locaux et du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

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En outre, le ministre a annoncé qu’un arrêté signé dans les prochains jours par le gouvernement actera une dérogation « à la règle des 50 ans » pour permettre un accès libre aux cahiers de doléances numérisés et rassemblés au service interministériel des archives nationales, notamment pour les chercheurs. C’est là que se trouve une partie des écrits qui n’ont pas été rendus anonymes.

Unanimité mais débats animés dans l’hémicycle

Pour Mme Pochon, les annonces du ministre semblent correspondre à l’appel lancé pour « engager un travail constructif et transparent » en vue de « la publicisation effective des doléances », dans un communiqué après le débat. Les députés « resteront vigilants et mobilisés jusqu’à la pleine application de cette résolution », a-t-elle cependant précisé.

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Fait rare à l’Assemblée, la résolution a été votée par tous les groupes politiques – de La France insoumise (LFI) au Rassemblement national (RN) en passant par les macronistes –, n’empêchant cependant pas des débats animés. Comme lorsque le RN a critiqué une proposition de résolution « ironiquement cosignée » par tous ceux responsables de la crise des gilets jaunes, selon les mots de la députée Edwige Diaz. Elle a fustigé une « classe politique » qui « s’improvise pompier pyromane » et un entêtement de la « détestation des automobilistes » dans les mesures prises depuis 2018.

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Pour le député LFI Arnaud Le Gall, la publication des « cahiers peut permettre de rendre son vrai visage à une révolte dont les acteurs ont été largement diffamés et dont les principaux mots d’ordre ont été occultés ». Il a ciblé le camp gouvernemental, affirmant que certains « espèrent sans doute, avec cette publication, clore le cycle ouvert en 2018 », mais affirmé y voir « une étape du combat » pour « la dignité des gilets jaunes » et pour que « leur revendication de justice sociale, fiscale et de démocratie ».

Lui comme Mme Pochon ont tenu à souligner la dernière fois que des doléances avaient été publiées. C’était en 1903, l’année où « Jean Jaurès initie un travail de recherche et de publication des doléances de la Révolution française, lui aussi devant l’Assemblée nationale », selon Mme Pochon. « Aujourd’hui, nous aurons l’occasion de le faire en moins d’un siècle », a-t-elle encouragé.

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Le Monde avec AFP

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