Contamination aux polluants éternels et aux pesticides, inondations, sécheresses : les exemples témoignant d’une « crise de l’eau » protéiforme, qui traverse aujourd’hui les sociétés et l’humanité dans son ensemble, ne manquent pas. Le 22 mars, la Journée mondiale de l’eau avait pour thème « l’eau pour la paix ». Moins d’un an plus tôt, le 6 juin 2023, la destruction par les Russes du barrage hydroélectrique de Kakhovka, sur la rivière Dniepr, en Ukraine, avait matérialisé l’idée d’une « guerre de l’eau ». Mais au-delà des images frappantes, la détresse hydrique s’inscrit notamment dans la réalité quotidienne de plus d’un tiers de la population mondiale qui manque d’accès suffisant à une eau potable et saine.

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Le terme « hydropolitique » s’est progressivement imposé pour penser ensemble ces réalités. L’un des premiers à l’employer fut un politiste étatsunien, John Waterbury, dans son ouvrage Hydropolitics of the Nile Valley (« hydropolitique de la vallée du Nil », Syracuse University Press, 1979, non traduit). L’auteur y décrivait les tensions géopolitiques opposant les Etats situés à l’aval et à l’amont du deuxième plus grand fleuve du monde. Un modèle qui fut suivi pour étudier d’autres bassins transfrontaliers comme le Danube, le Jourdain ou le Mékong.

Outre les fleuves, ce sont aussi les eaux souterraines qui suscitent aujourd’hui les rivalités internationales. Après deux siècles d’exploitation carbonifère, un nouvel extractivisme se profile autour des nappes phréatiques. Or, les grands systèmes aquifères, comme celui du Guarani en Amérique du Sud, du Syr-Daria en Asie centrale, ou des grès nubiens sous le désert du Sahara, traversent de nombreuses frontières nationales, suscitant les jalousies.

La question des « besoins en eau »

A plus de 4 000 mètres d’altitude, les glaces du plateau tibétain et de la chaîne de l’Himalaya, situées entre la Chine et l’Inde, sont elles aussi au cœur de l’actualité géopolitique. Afin d’étancher la soif qui touche le nord du pays, la Chine a d’abord exploité à grande échelle ses nappes phréatiques, puis a entrepris de détourner les eaux du Yangzi et d’installer un vaste réseau de barrages dans l’Himalaya. Ces derniers, qui pourraient nuire aux fleuves dont dépendent l’Inde et le Pakistan, sont la cause de nouveaux affrontements.

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Dans un article de 2009 pour la New Left Review, l’économiste Kenneth Pomeranz soulignait que les conflits autour de cette ligne himalayenne de partage des eaux doivent se replacer dans une histoire longue des Etats hydrauliques. Dès 1957, dans un livre controversé sur le Despotisme oriental (Les Editions de Minuit, 1964), le politiste Karl Wittfogel avait cru trouver les origines du totalitarisme dans les grandes infrastructures d’irrigation et de drainage caractéristiques des grandes vallées inondées d’Asie. La peur des sécheresses aurait facilité l’acceptation du pouvoir despotique de bureaucraties hydrauliques.

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