En 2003, à la sortie de son film Histoire d’un secret, dans lequel la réalisatrice Mariana Otero racontait l’histoire de sa mère, Clotilde Vautier, artiste peintre morte en 1968 à l’âge de 29 ans des suites d’un avortement clandestin, l’écrivaine Nancy Huston avait proposé, dans une tribune au journal Le Monde, que soit édifié un monument à l’avortée inconnue, en mémoire et en hommage à toutes celles qui sont mortes dans ces mêmes circonstances. Cet appel n’avait malheureusement trouvé que très peu d’écho.

Cette année, on fête les 50 ans de la loi Veil. Et, depuis un an, la liberté garantie aux femmes d’accéder à l’IVG a été inscrite dans la Constitution. Quel chemin parcouru depuis 1975. Alors, oui, le temps est venu pour que ce monument voie enfin le jour. Car souvenons-nous ! Avant la loi Veil, durant des décennies, une multitude de femmes sont mortes en France à la suite d’un avortement clandestin.

Il était effectué le plus souvent dans de terribles souffrances, dans la solitude, la peur, l’opprobre et la honte. On ne connaît pas le nombre exact de ces décès, et sans doute ne pourra-t-on jamais le connaître précisément : dans les hôpitaux, la cause médicale de la mort de ces femmes était mentionnée (septicémie, tétanos, péritonite…), mais rarement le geste qui en était à l’origine, rendant de ce fait le recensement impossible.

La loi du silence comme arme du système patriarcal

Parfois, ce silence visait à ce que la police ne s’en mêle pas, mais parfois, aussi, il participait juste d’une stratégie d’évitement et de dissimulation d’un nombre de décès qui, s’ils avaient été authentiquement recensés, aurait été scandaleusement élevé. Pour maintenir l’illégalité de l’avortement, il était préférable d’en cacher les terribles conséquences et d’invisibiliser le sort de ces femmes.

Lire l’entretien | Article réservé à nos abonnés « De haute lutte » : droit à l’IVG, la lente reconnaissance de la pleine citoyenneté des femmes

Et, pour maintenir la peur, il fallait mener des procès et condamner de manière exemplaire celles qui avaient avorté et celles ou ceux qui les avaient aidées. Cette année, le Sénat a voté à l’unanimité la réhabilitation de ces femmes. C’est une formidable avancée mémorielle. Mais qu’en est-il de toutes celles mortes avant 1975 ? On estime le nombre de décès à plusieurs centaines par an. Sur presque un siècle, on atteint facilement plusieurs milliers, chiffre effarant de femmes mortes du fait d’une loi patriarcale.

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