Libérés par la foule massée sur le quai, des dizaines de ballons multicolores s’envolent dans un ciel sans nuages. Une ambiance aussi joyeuse que fébrile règne dans la gare de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) ce matin du 2 juillet 1985. Près de 400 jeunes âgés de 15 à 25 ans et une petite centaine d’accompagnateurs s’apprêtent à monter à bord d’un train mis à leur disposition. Leur direction finale ? Pékin ! Derniers adieux aux parents, dernières consignes d’usage écoutées d’une oreille distraite. On songe surtout à faire connaissance avec ses voisins de compartiment, avec qui on devra cohabiter pendant neuf jours.
Soudain, une bande d’olibrius déguisés en grooms s’allongent par terre devant la tribune pour figurer un tapis rouge et invitent Michel Rocard, maire (PS) de la ville, et Alain Calmat, ministre de la jeunesse et des sports du gouvernement de Laurent Fabius, à leur marcher dessus. Ce sont les comédiens du Théâtre de l’Unité, troupe anticonformiste – presque un pléonasme à l’époque –, qui sera du voyage pour animer les arrêts en gare. Le premier, à la gare Saint-Lazare, à Paris, est purement protocolaire : après quelques discours, le socialiste Jean Auroux, secrétaire d’Etat chargé des transports, coiffé d’une casquette de cheminot, donne un solennel coup de sifflet. C’est parti pour plus de 12 000 kilomètres de trajet à travers notamment la RDA, la Pologne et l’Union soviétique. Un voyage qui nous transporte, quarante ans après, au cœur des années 1980.
Franchir le rideau de fer, parcourir les dictatures du bloc de l’Est avec des centaines de jeunes armés d’appareils photos, des journalistes caméra au poing, bref une foule d’Occidentaux plus ou moins incontrôlables, ce défi n’a pu être relevé que parce que 1985 a été décrétée par l’ONU « Année internationale de la jeunesse ». On attend de tous les Etats qu’ils jouent le jeu. En France, l’ensemble des associations a été invité par le ministère de la jeunesse et des sports à présenter des projets. Sur les mille dossiers reçus, quatre cents ont été retenus, mais aucun n’est aussi décoiffant que celui-ci.
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