Ils travaillent énormément mais ne parviennent pas à sortir du cercle infernal de l’endettement.
C’est une situation comme en rencontre fréquemment une huissière des Ardennes.
Une équipe de « Sept à Huit » l’a accompagnée, notamment chez Tony et Fiona, deux jeunes agriculteurs au bout du rouleau.

Suivez la couverture complète

Sept à huit

Lorsqu’elle frappe à la porte d’un débiteur, maître Dautremay incarne le devoir de rembourser ses dettes. Pour cela, cette huissière peut ponctionner directement de l’argent sur les comptes bancaires, ou saisir les biens. Mais les commissaires de justice, du nouveau nom de la profession, privilégient le plus souvent la négociation et l’échelonnement des remboursements, face à des personnes souvent acculées en dépit de leur bonne volonté. 

C’est le cas de Tony et Fiona, deux jeunes agriculteurs des Ardennes, criblés de dettes (nouvelle fenêtre) et piégés dans le cercle vicieux des crédits et remboursements. Une équipe de « Sept à Huit » a accompagné maître Dautremay lors de sa rencontre avec le couple, dont elle doit exiger le paiement d’une créance.

L’agriculteur est injoignable

« Vous pouvez rentrer vos chiens, peut-être, non ? », demande l’huissière en arrivant dans l’exploitation agricole. Tony préfère la recevoir dehors, à l’écart des enfants. L’éleveur bovin de 35 ans dispose les documents qu’elle lui présente sur le capot d’une voiture. Ni agressif, ni même hostile, l’homme semble plutôt résigné.

« Vous savez qu’il y a un dossier pour les cotisations ? », lui demande maître Dautremay. C’est celui de la MSA, la protection sociale des agriculteurs. Comme ils sont indépendants, elle est obligatoire. « C’est un dossier où il reste un solde de 857 euros », précise l’huissière, « ce que je voulais, c’était qu’on se rencontre, puisque a priori, ma collaboratrice n’arrive pas à vous joindre »

Tony est injoignable pour une raison simple : il ne peut pas payer. Il propose d’échelonner « en cinq fois », son interlocutrice consent à aller jusqu’à six. « Je n’ai pas cette prétention de vouloir, justement, rajouter encore des difficultés, alors que c’est déjà une difficulté pour lui, et on le voit bien », explique-t-elle à la caméra de « Sept à Huit ». Elle espère que Tony pourra payer, mais le pari reste incertain, tant l’agriculteur croule sous les dettes et les factures. 

Il y a quatre ans, cet ancien employé d’un lycée agricole a décidé de louer cette exploitation de 22 hectares pour 4.400 euros par an. « Je quitte à 8h du soir », raconte-t-il, « je vais presser ma paille jusqu’à 2h du matin. À 6h, il faut se relever pour aller faire du boulot. Il faut aimer les bêtes »

Le couple ne gagne pas d’argent avec son exploitation

Tony ne gagne pas d’argent avec son exploitation. Il doit investir, alors que pour l’instant, il ne vend aucune bête. Des débuts difficiles, qui se compliquent encore lorsqu’il apprend qu’il ne peut pas bénéficier des aides pour les jeunes agriculteurs, car il n’est titulaire que d’un CAP. Il perd notamment l’exonération des cotisations MSA qui aurait pu lui être accordée, soit 1.600 euros par an.

« J’ai été obligé de vendre mes six veaux pour pouvoir payer tout ce qui est cotisation. Au lieu de les vendre dans deux ans, où ils auraient pu valoir 1.900 ou 2.000 euros pour des bonnes bêtes ». Il en a tiré un prix bien inférieur en étant acculé à s’en séparer trop tôt, entre 700 et 750 euros par tête.

Des dizaines de milliers d’euros de dettes

« Parce que la MSA, elle n’attend pas, il faut la payer, et puis voilà ». Aujourd’hui, Tony ne possède plus qu’une dizaine de bêtes. L’éleveur tente de sauver, tant bien que mal, son exploitation déjà à bout de souffle. Pour payer ses charges, il a été obligé de redevenir ouvrier agricole à temps partiel, sur une autre exploitation. Vingt heures par semaine, payées environ 1.000 euros.

Aujourd’hui, il vit avec sa femme Fiona, elle aussi ouvrière agricole, et leurs deux enfants. En 2021, le couple a emprunté 70.000 euros pour acheter une maison, puis 15.000 euros pour réaliser les travaux. Mais très vite, les mauvaises surprises s’enchaînent. Électricité, isolation, chauffage, il faut tout refaire. Tony et Fiona contractent alors quatre crédits à la consommation, pour 22.000 euros au total, à des taux exorbitants. En quatre ans, ils ont tout dépensé sans voir le bout des travaux, qui sont aujourd’hui à l’arrêt.

Avec les huissiers, on peut payer en plusieurs fois, c’est ça l’avantage

Fiona, exploitante agricole

En attendant de pouvoir les relancer, la famille de quatre dort dans une même chambre, et vit dans des conditions particulièrement précaires. Un trou dans une fenêtre est calfeutré par un coussin, la réfection complète des menuiseries coûterait 10.000 euros, une somme bien trop élevée, explique Fiona. Pour finir les aménagements, le couple estime avoir besoin de 25.000 euros. 

La jeune agricultrice montre le chantier, loin d’être achevé : « Notre chambre à nous, bien plus tard. Ici, il y aura la chambre de ma fille Octavia, la chambre pour Karl ». Ces travaux qui n’en finissent plus les empêchent d’investir dans leur ferme, et donc d’en espérer des revenus. Un cercle vicieux. « Je me pose la question si je ne vais pas revendre la maison (…) pour ne pas revendre les autres bêtes, parce qu’on y tient quand même. C’est mes animaux, j’ai pas envie de… ». Fiona s’interrompt pour réprimer un sanglot. « Il y a toujours quelque chose à payer. C’est horrible. Franchement, c’est horrible »

Leurs seuls revenus, ce sont leurs salaires d’ouvriers agricoles. 1.900 euros par mois à eux deux. Pas même de quoi couvrir leurs dettes et leurs frais. « J’ai deux mois de facture EDF que je n’arrive pas à payer, j’ai la cantine des gamins que je n’arrive pas à payer non plus ». Elle sait que d’autres huissiers viendront réclamer d’autres créances. « Avec les huissiers, on peut payer en plusieurs fois, c’est ça l’avantage », se rassure-t-elle.

Retrouvez en tête d’article l’intégralité du reportage de « Sept à Huit ».


La rédaction de TF1info | Reportage Sept à Huit : Paul Montels

Partager
Exit mobile version