Aucune enquête pénale contre l’abbé Pierre ne sera ouverte en raison de la prescription des faits d’agression sexuelle dont il est soupçonné, a annoncé le parquet de Paris ce mardi.
Une terrible déception pour les victimes présumées du fondateur d’Emmaüs.
Les équipes de TF1 ont rencontré l’une d’entre elles, âgée de seulement 8 ans au moment des faits.

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L’Abbé Pierre visé par de nombreuses accusations d’agressions sexuelles

C’est un coup de massue. Le parquet de Paris a annoncé mardi qu’aucune enquête pénale ne serait ouverte à l’encontre de l’abbé Pierre (nouvelle fenêtre). Dans un courrier en date du 24 janvier, en réponse à la demande d’ouverture d’une enquête par l’Église (nouvelle fenêtre), il a fait savoir que « l’action publique est éteinte par le décès du mis en cause en 2007 en ce qui le concernait personnellement, et prescrite en ce qui aurait éventuellement pu concerner des non-dénonciations de faits »

Pourtant, de nombreuses personnes avaient visiblement connaissance, à l’époque, des agissements de l’homme de foi. « Ce n’est pas que nous n’avons pas parlé, c’est que nous n’avons pas été écoutés. Nous n’avons pas été entendus. Tout est resté sur un coin de bureau. Des gens, qui sont encore en place, savaient et n’ont absolument rien fait », s’insurge Rachel, au micro du 20H de TF1. 

Il appuie très fortement sur mes parties intimes, fait rentrer sa langue dans ma bouche

Rachel

La femme n’oubliera jamais une journée de 1973, alors qu’elle n’était encore âgée que de huit ans. Parti faire une course, son beau-père l’a alors confié à un ami : Henry Grouès, plus connu sous le nom d’abbé Pierre. « À peine assise sur ses genoux, il me dit : ‘je suis sûr que ta petite culotte est assortie à ta robe’. Et en me disant ça, il met sa main entre mes jambes. Il appuie très fortement sur mes parties intimes. Il prend ma mâchoire, me tourne la tête et il fait rentrer sa langue dans ma bouche », se souvient-elle douloureusement. « J’ai encore l’odeur de cet homme », affirme-t-elle encore, marquée à vie. L’intéressée, qui a déposé plainte pour non-dénonciation, assure avoir été agressée à deux reprises par le fondateur d’Emmaüs et en avoir parlé à son beau-père. Mais ce dernier l’a alors fait taire. 

L’abbé Pierre a-t-il été protégé ?

Mais alors, au-delà de ce genre de témoignages étouffés, l’abbé Pierre a-t-il été protégé ? C’est la thèse que défendent deux anciens membres d’Emmaüs, qui, des mois durant, ont mené leur propre enquête. Il en ressort que, dès les années 1950, de premières agressions sont mentionnées dans des courriers internes à Emmaüs aux États-Unis, en Suède et au Canada. « Dans cette correspondance entre dirigeants, une loi du silence a été instaurée. Elle était la règle pour protéger l’image d’Emmaüs des agissements de son fondateur », indique Philippe Dupont, président de l’association Espérance Vérité Amitié (EVA). Après ces voyages, dans une note confidentielle, un cadre d’Emmaüs a écrit à l’abbé Pierre. « Pour avoir reçu de multiples confidences depuis des mois, il m’est impossible de rester complice d’une telle situation me rendant d’avance responsable des accidents à venir »

Forts de ces découvertes, les deux hommes ont tenté d’interroger les dirigeants actuels de l’association. « On était en train de dire que, délibérément, on va tout faire pour taire les choses, éviter que cela fasse de bruit, car il y a des intérêts à préserver », s’insurge Arnaud Gallais, président de l’association Mouv’enfants. « J’ai exprimé mon désaccord avec les dirigeants du mouvement Emmaüs, je me suis retrouvé dans un climat d’intimidation, de violence verbale et de crainte. J’ai vécu six mois assez terribles », dénonce Philippe Dupont. 

C’est un grand malade mental.

Un document de l’Église évoquant l’abbé Pierre

Mais alors, de son côté, que savait l’Église ? Dès 1958 – une date qui coïncide avec les premiers échanges précédemment mentionnés -, elle décide d’interner l’abbé Pierre dans une clinique psychiatrique en Suisse. L’institution lui annonce dans un courrier. « Nous avons vu l’évêque de Grenoble. (…) Comme tout le monde, il souhaite que vous puissiez vous cacher un an », est-il précisé. 

En parallèle, TF1 a pu consulter les archives de l’Église de France, soit 216 documents et courriers de hauts dignitaires gardés confidentiels pendant des années. Pas moins de 43 prêtes, évêques, archevêques mentionnent des agressions de l’abbé Pierre et demandent qu’il soit surveillé. « C’est un grand malade mental. Des jeunes filles ont été marquées pour la vie. Il faut l’escorter au plus près », peut-on par exemple lire dans l’un d’entre eux. 

« Protégé par son image et son statut » ?

Plusieurs victimes présumées contactées révèlent que l’abbé Pierre se pensait intouchable. Une psychologue a suivi plusieurs d’entre elles. « Il avait dit : ‘on ne te croira jamais, tu n’as pas le droit de le dire, et si tu le dis, je dirai que ce n’est pas vrai. Et je suis l’abbé Pierre' », explique Carole Damiani, par ailleurs directrice de l’association Paris aide aux victimes. « Il se sentait protégé par son statut, par l’image qu’il avait et il savait que c’était son totem d’impunité », ajoute-t-elle. 

Au vu de ces dysfonctionnements, la Conférence des évêques regrette qu’aucune enquête ne soit ouverte, contrairement à la demande formulée en janvier dernier par l’Église. « Quelques-uns ont su ici. Malheureusement, comme c’était le comportement de l’époque, les mesures qu’ils ont prises l’ont été dans un cercle relativement restreint. Quand ces gens-là ont changé de fonctions ou qu’ils sont morts, il n’y a pas eu de transmissions. Il y a tout un savoir sur l’abbé Pierre qui a disparu », déplore au micro de TF1 Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France et archevêque de Reims. 

Longtemps figure iconique de la défense des démunis, l’abbé Pierre est visé par 33 accusations de violences sexuelles. Les faits allégués, qui remontent à une période allant des années 1950 aux années 2000, ont été révélés dans trois rapports différents publiés depuis juillet 2024 par le cabinet Egaé, mandaté par le mouvement Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre pour faire la lumière sur les agissements du prêtre.


M.G | Reportage TF1 : Maurine BAJAC, Frédéric MIGNARD, Alix PONSAR, Frédéric JOLFRE

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