Sa récitation de mémoire pendant plus de cinq heures des décimales du nombre Pi ont fait de lui un homme mondialement célèbre.
Daniel Tammet est l’un des rares autistes capables de mettre en mots ses compétences exceptionnelles.
Dans un français, coloré d’accent britannique, il s’est confié sur ses différences ce dimanche 15 septembre dans Sept à Huit.

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Sept à huit

Il a été désigné en 2007 comme l’un des « 100 génies vivants ». Et pour cause, le Britannique Daniel Tammet possède des dons exceptionnels en calcul et en apprentissage des langues. Autiste atteint du syndrome d’Asperger, il est aujourd’hui écrivain et publie ce 19 septembre son septième livre : « Des pierres, ils ont fait des étoiles » (éd. Les Arènes). Une plongée dans l’univers extraordinaire d’hommes et de femmes qui ont su faire de leur différence une force. Totalement à son image. 

Commençons d’abord par les chiffres. Tout le monde sait que le nombre Pi, c’est 3,14… mais personne ne se souvient de la suite. Sauf Daniel Tammet. « J’ai récité les premières 22.514 décimales du nombre Pi en 5 heures et 9 minutes », dit-il à Audrey Crespo-Mara dans la vidéo ci-dessus. Record établi le 15 mars 2004 à Oxford devant des examinateurs médusés. Il précise tout de même qu’il a fini « épuisé ». « C’était comme si je courais un marathon ou deux marathons dans ma tête et à force, arrivé à la fin, j’étais très fatigué », admet-il. 

Pour moi, les chiffres, c’est un poème visuel, émotionnel.

Daniel Tammet

Surdoué des nombres, Daniel Tammet les associe à des couleurs et des formes. « Pour moi, les chiffres, c’est un poème visuel, émotionnel. Un poème universel que je perçois avec des couleurs, des émotions, des textures, comme une sorte de paysage mental. Ça s’appelle la synesthésie, c’est un phénomène neurologique », explique-t-il. Une façon de voir le monde différemment alors qu’il lui paraissait « énorme, incompréhensible » au cours de son enfance. 

Aîné d’une famille londonienne modeste de neuf enfants, il raconte ensuite dans un français parfait, à peine coloré d’un léger accent britannique, ses crises d’épilepsie infantiles qui auraient eu des conséquences sur son cerveau. « On sait que les crises d’épilepsie arrivent fréquemment chez les personnes autistes malheureusement. Est-ce que ce sont les crises d’épilepsie qui auraient provoqué mes capacités numériques ou linguistiques ? Est-ce que c’est plutôt simplement le fait d’être autiste ? D’avoir un fonctionnement cognitif différent qui aurait créé ces conditions-là ? On ne sait pas », assure-t-il. 

Toujours est-il qu’à quatre ans, Daniel Tammet commence à avoir des visions. « Je commençais à apprendre à lire et lorsque je regardais les chiffres sur chaque bas de page, je voyais une couleur différente. Un, c’est comme une lumière très forte, deux, c’est comme le vent… », énumère-t-il. Et d’ajouter : « À chaque fois que je rencontrais quelqu’un de grand, je me disais : ‘il est grand comme le chiffre 9’, parce que pour moi, le chiffre 9 est très imposant. Et quand je voyais quelqu’un de très beau, c’était le chiffre 11 parce que le 11, c’est très beau », assure-t-il. 

Il parle une dizaine de langues étrangères

Pourtant, ses talents ont aussi leurs revers. Daniel Tammet a du mal à communiquer, réfugié dans son confortable monde intérieur fait de chiffres et de mots. Ainsi, à l’école, les bruits, les bousculades, tout l’agresse. « Je me bouchais les oreilles, j’essayais de me mettre en retrait. Ce qui était le plus difficile, c’est qu’on ne comprenait pas ce que j’avais. On savait que j’étais hypersensible, différent, mais à l’époque le mot autisme n’existait pas. Il aura fallu vingt ans pour comprendre tout ça », souligne-t-il. 

Suivront des années d’efforts pour apprendre la socialisation. « Les enfants ne sont pas toujours très tendres avec ceux qui ne se comportent pas comme eux. J’avais vraiment du mal à me faire comprendre, à m’exprimer. J’allais dans des bibliothèques, je prenais des livres, j’essayais de comprendre comment fonctionne le cerveau de mes camarades de classe et ça m’a aidé à construire une empathie », lâche-t-il. 

Maîtriser de nombreuses langues étrangères – il en parle une dizaine – lui a aussi permis de communiquer avec davantage de public. « À chaque fois que j’apprenais une autre langue, c’était une autre fenêtre dans mon cerveau qui s’ouvrait, une autre façon de comprendre qu’on est tous différents, qu’on voit tous le monde différemment. Et cette différence est une richesse », insiste celui dont la vocation est désormais de créer un pont entre « deux intelligences », à savoir les autistes et les personnes neurotypiques (c’est-à-dire le commun des mortels).

Aujourd’hui, celui qui avait tant de mal à communiquer regarde les autres dans les yeux sans difficulté. « Ma mère, mes frères et sœurs m’ont beaucoup aidé », avance-t-il. Pour autant, il le reconnait, une petite partie de lui doit toujours y réfléchir. « Est-ce que je regarde bien dans les yeux, est-ce que je fais trop, pas assez », interroge-t-il. Et de conclure, tout sourire : « Là, ça va ? » Daniel Tammet peut être rassuré, la réponse est oui. 


Virginie FAUROUX | Propos recueillis par Audrey Crespo-Mara

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