Trente ans qu’il n’a rien dit, ou presque. Trente ans qu’il classe, archive, rédige, compare, relit le malheur de sa vie. On a déjà vu cela dans les tragédies suivies d’interminables procédures. Un homme érige un rempart fait de milliers de pièces et de cotes judiciaires, dans l’espoir qu’un jour jaillisse la vérité. Personne ne connaît mieux le dossier de l’affaire Grégory que le propre père de l’enfant, Jean-Marie Villemin.

Voilà maintenant quarante ans, le 16 octobre 1984, que ce petit garçon de 4 ans a été jeté, vivant mais inconscient, dans la Vologne, une rivière des Vosges, son bonnet rabattu sur le visage, une cordelette autour du cou, des poignets et des chevilles. Ce meurtre horrifie le pays, mais personne ne prévoit le désastre judiciaire et médiatique à venir, dont ses parents, Jean-Marie et Christine Villemin, vont faire les frais. Personne, et surtout pas eux. « Je me demande comment nous avons survécu », s’interroge le père dans la préface d’une bande dessinée parue mercredi 2 octobre, Grégory (Les Arènes, 144 pages, 25 euros).

Après tant d’articles, de reportages, d’ouvrages, de documentaires, d’émissions, un film et même une série Netflix, pourquoi cet album ? Depuis longtemps, l’idée taraudait Jean-Marie Villemin. Bien avant ce quarantième anniversaire, il a « pris les devants » et demandé à son épouse, une « grande brûlée des médias », son avis sur un tel projet. « Elle m’a laissé libre de le mener à bien, à condition de ne pas y être mêlée », écrit-il. Cette préface lui permet aussi d’exprimer son remords, lui qui a tué Bernard Laroche, le 29 mars 1985, persuadé de sa culpabilité : « J’ai pris la vie de mon cousin, je resterai à jamais un assassin. Je le regrette tant. » Il a, par ce geste fou, gravement compromis la manifestation de la vérité. Y a-t-il pire punition ?

Lire aussi (1985) | Article réservé à nos abonnés Bernard Laroche, assassiné par Jean-Marie Villemin, avait déjà été menacé par son meurtrier

L’affaire Grégory, aujourd’hui, c’est l’histoire d’amour d’un couple qui a résisté à tout : aux « corbeaux », à la haine, à la jalousie, à la bêtise, à la persécution, aux mensonges, à la prison. A la mort d’un enfant. C’est aussi une histoire d’amitiés, de bienveillance, de reconstruction. Les Villemin sont parvenus à surmonter leur malheur et à créer une famille unie, sans rien cacher de leurs épreuves à leurs trois enfants, Julien, 39 ans, Emelyne, 34 ans, et Simon, 26 ans. Ce dernier est ainsi nommé en mémoire du juge Maurice Simon, qui a repris l’enquête à zéro en 1987 et enfin traité les Villemin avec humanité. Emelyne, agrégée de sciences, la gaieté en personne, a épousé un normalien. « C’était la seule boursière de sa classe préparatoire », note le fondateur des Arènes, Laurent Beccaria. Julien a une belle situation dans une franchise d’optique. Le couple Villemin a trois petits-enfants.

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