Comme un seul homme, des milliers de déplacés, les voitures bourrées à craquer d’enfants et de sacs de vêtements, surmontées de piles de matelas, se sont engouffrés dans les embouteillages qui se sont formés sur l’autoroute du littoral en direction du sud du Liban dès l’entrée en vigueur du cessez-le-feu avec Israël, mercredi 27 novembre à l’aube. Jusque tard dans la nuit, le flot ne tarit pas. Sur les visages fatigués, le soulagement de rentrer enfin chez soi se mêle à la crainte de trouver sa maison détruite ou livrée aux pillards après deux mois de guerre, treize même pour les habitants des villages accolés à la frontière.
Certains ont accroché à leur voiture des drapeaux jaunes du Hezbollah et collé aux vitres des photos de son chef Hassan Nasrallah, tué le 27 septembre par Israël. Des militants du parti chiite les distribuent sur la route, avec des chocolats. L’arrêt des combats et le retour de 1,2 million de déplacés au sud du Liban, dans la plaine de la Bekaa et dans la banlieue sud de Beyrouth, a un goût de victoire pour le « Parti de Dieu ». Il a tenu bon, c’est là l’essentiel, même si la trêve est encore fragile et que l’armée israélienne n’entend se retirer que progressivement des quelque kilomètres de bande frontalière qu’elle contrôle.
« C’est un jour victorieux, bien sûr ! Malgré les destructions, les martyrs, l’exil… Notre soutien à la résistance est inébranlable », lance Safaa Jaber, avec aplomb, les yeux rougis par les pleurs. La jeune mère de 27 ans et son mari, Hamada, se sont arrêtés au rond-point de Kfar Tebnit, redécoré d’un lanceur de roquettes et de drapeaux du Hezbollah, avant de rentrer chez eux. Ils prennent la pose devant l’immeuble, aplati par une frappe israélienne, où Hamada avait son épicerie. Le portrait du frère de Safaa, Wael, un volontaire du parti chiite, est accroché à l’immeuble. Il y est mort, le 14 octobre, dans un bombardement israélien.
La « victoire » a un goût amer. Dans le village de Yohmor, à sept kilomètres plus au sud, un drone bourdonne dans le ciel. Les soldats israéliens sont encore postés à Deir Mimas, sur la colline d’en face, près de la forteresse de Beaufort. Sous le crachin, des habitants de ce village de 4 000 âmes, matraqué par les bombardements durant la guerre, découvrent, hébétés, l’ampleur des destructions. Un cratère gît à la place de la maison de deux étages de Djamal Chmeysani. Dans l’enchevêtrement de ferraille et de béton brille une plaque de carrelage blanc. « C’est ma salle de bains ! », s’esclaffe, dans un rire nerveux, l’éducatrice spécialisée de 39 ans, avant de s’éloigner pour fondre en larmes.
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