C’est une scène hors champ. En 2020, pendant le tournage de Tromperie, le metteur en scène Arnaud Desplechin profite d’une pause pour fumer une cigarette avec Léa Seydoux, qui incarne la maîtresse d’un écrivain célèbre. Soudain, elle lance : « Pour toi, il y a qui d’intéressant en ce moment dans le cinéma français ? Quels réalisateurs ? » Lui élude avec un sourire : « Plein ! » Mais elle insiste, tout à fait sérieuse : « Dis-moi ! Donne-moi des noms. » Léa Seydoux ne plaisante pas.

A l’époque, elle a déjà une quinzaine d’années de carrière et, depuis ses débuts, le choix du réalisateur est un élément déterminant – une manière de s’inscrire dans la vie, l’affirmation d’un état d’esprit, presque d’une philosophie. Hier, Léa Seydoux était choisie. Aujourd’hui, Léa Seydoux choisit. Et les noms qu’elle arrache à Arnaud Desplechin, par curiosité, par appétit, par nécessité aussi, sont autant de petits cailloux glissés au fond d’une poche qu’on sort au gré du destin et dont on jalonne son chemin.

Drôle de destin : il la promène, depuis qu’elle a commencé, des deux côtés de l’Atlantique, dans un grand écart assumé entre la quintessence du cinéma d’auteur hexagonal et les grosses productions hollywoodiennes. En ce 77Festival de Cannes, elle est à l’affiche du Deuxième Acte, de Quentin Dupieux, en ouverture, hors compétition, qui sort en salle dans la foulée le 14 mai.

Auteurs français, réalisateurs américains

En France, la liste des auteurs avec qui elle a tourné est longue : Arnaud Desplechin, Bertrand Bonello, Benoît Jacquot, Christophe Honoré, Mia Hansen-Løve, Abdellatif Kechiche, Rebecca Zlotowski, bientôt Arthur Harari et Leos Carax… Les réalisateurs américains ne sont pas moins prestigieux, de Ridley Scott à Denis Villeneuve en passant par Quentin Tarantino, Sam Mendes, Wes Anderson ou David Cronenberg, …

Drôle de chemin : il conduit toujours plus loin une actrice qui affirme n’avoir jamais rêvé de l’être, qui ne revendique aucune culture de cinéphile, qui a toujours écarté le mot « ambition » pour lui préférer celui de « désir », et qu’aucune de ses aînées de cinéma n’a inspirée. Léa Seydoux s’est jetée dans ce métier à 20 ans pour tenter d’en finir, dit-elle, avec une souffrance de vivre qui la broie de l’intérieur depuis l’enfance.

Elevée sans l’être, elle le raconte au gré des interviews, par des parents rapidement divorcés et très absents, issue de deux dynasties d’industriels, les Schlumberger par sa mère et les Seydoux (à la tête de Pathé et de Gaumont) par son père, elle en porte le nom mais n’en dégage pas l’insouciance, et ses souvenirs n’ont pas l’éclat désinvolte de la grande bourgeoisie. Un Photomaton d’adolescence a figé la mélancolie de son visage sous une coupe dégradée-péroxydée en vogue à la fin des nineties. D’une timidité extrême, presque mutique, « sauvage », résume-t-elle en montrant le cliché à une journaliste de la chaîne YouTube Bling ! en septembre 2022.

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