La Côte d’Ivoire entend se « positionner comme un acteur clé sur les marchés internationaux de carbone », a déclaré son ministre de l’environnement, Jacques Assahoré Konan, lors de la cérémonie d’ouverture du premier forum d’Afrique de l’Ouest consacré au sujet, qui s’est tenu à Abidjan les 23 et 24 janvier. Une « opportunité économique et environnementale », a souligné le ministre, pour l’Afrique en général et pour le pays en particulier.

La Côte d’Ivoire, qui a perdu plus de 80 % de son couvert forestier depuis 1960, entend donc devenir le fer de lance de la politique carbone de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, qui cherche à se doter d’un marché carbone régional standardisé. La région accuse un lourd retard dans ce domaine, n’ayant émis entre 2010 et mai 2023 que 9 % des crédits carbone volontaires en Afrique, soit trois fois moins que le seul Kenya. En cause, un manque d’informations et un cadre juridique peu favorable, deux faiblesses que la Côte d’Ivoire entend bien corriger.

Un projet de loi sur le changement climatique, destiné notamment à déterminer la propriété des crédits carbone et les modalités de leur gestion, devrait passer dans les prochaines semaines devant l’Assemblée nationale. Par ailleurs, le pays s’est déjà doté, le 1er août 2024, d’un Bureau du marché carbone pour inciter les porteurs de projets locaux, attirer les acheteurs et coordonner les actions à l’échelle du pays.

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« La Côte d’Ivoire est prête à se lancer sur le marché carbone », confirme Rachel Boti-Douayoua, secrétaire technique du Bureau, qui rappelle que le pays, signataire de l’accord de Paris sur le climat, s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30,41 % d’ici 2030 par rapport à sa trajectoire d’émissions depuis 2012. Soit l’équivalent de 37 millions de tonnes de dioxyde de carbone (CO2).

Crédits carbone de faible valeur

« Le financement de la lutte contre le changement climatique est très lourd, indique Rachel Boti-Douayoua, et la Côte d’Ivoire doit chercher des ressources financières à l’extérieur pour assurer la réalisation de ses projets environnementaux. Le marché carbone peut lui offrir ces ressources. » L’objectif est de vendre à « tous types d’acheteurs », assure-t-elle, des « crédits carbone de qualité », c’est-à-dire certifiés par des organismes accrédités et vendus à un tarif élevé.

Car tous les crédits carbone ne se valent pas. Si une unité correspond à une tonne de CO2 évitée ou séquestrée, sa tarification varie entre une poignée et plusieurs dizaines de dollars. Celle-ci est calculée en fonction de différents critères, correspondant à son impact réel dans la réduction de gaz à effet de serre. Pour le moment, la Côte d’Ivoire n’a commencé à vendre que des crédits carbone de faible valeur, à 4,80 euros (5 dollars) la tonne, grâce à des projets de déforestation évitée.

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Abidjan a ainsi reçu, en 2024, 33,5 millions d’euros (35 millions de dollars) de la Banque mondiale pour avoir réussi à réduire de 7 millions de tonnes ses émissions de carbone, à la suite de l’accord de paiement des réductions d’émissions (ERPA) conclu avec le Fonds de partenariat pour le carbone forestier de l’institution financière.

L’ERPA prévoit un objectif de 10 millions de tonnes de réduction des émissions, c’est-à-dire 10 millions de crédits carbone, pour une valeur totale de 47,6 millions d’euros (50 millions de dollars). Une partie de cette somme doit être reversée à la Société de développement des forêts, une partie à l’Office ivoirien des parcs et réserves, et le reste aux coopératives agricoles et acteurs des projets locaux, soit un total de 40 000 bénéficiaires.

Crédibilité sujette à caution

Ces crédits carbone forestiers ne sont pas difficiles à générer pour la Côte d’Ivoire, puisque la période de référence sélectionnée pour cet accord, de 2001 à 2015, correspond à son pic de déforestation. Leur crédibilité, en revanche, reste sujette à caution. En 2023, un consortium de presse mené par le quotidien britannique The Guardian, l’hebdomadaire allemand Die Zeit et l’ONG de journalisme d’investigation SourceMaterial révélait ainsi que 94 % des crédits carbone sur les forêts tropicales certifiés par l’organisme américain Verra, étaient des « crédits fantômes » et « largement sans valeur » du point de vue de la compensation carbone.

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« La Côte d’Ivoire n’a pas vraiment de problème pour générer des crédits carbone forestiers, souligne l’économiste Alain Karsenty, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, puisqu’en dehors de quelques parcs nationaux bien protégés, elle n’a quasiment plus de forêt dense. Pendant des années, elle a été le pays au taux de déforestation, en pourcentage, le plus élevé au monde. Donc même sans projets pour générer des crédits carbone, sa déforestation aurait baissé, c’est mécanique. »

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Premier producteur mondial de cacao, la Côte d’Ivoire mise surtout sur l’agroforesterie pour maintenir la cacaoculture tout en restaurant son couvert forestier. Une politique qui pose cette fois le problème de la permanence de ces crédits carbone. « Pour qu’ils soient vraiment efficaces, reprend Alain Karsenty, il faudrait qu’on soit sûrs que ce carbone supplémentaire soit encore stocké dans plusieurs centaines d’années : sans incendie, sans maladie arboricole, et sans changement de politique foncière. Il est évident qu’on ne peut pas donner ces garanties, et ce problème de non-permanence est majeur dans la crédibilité de ces crédits carbone. »

Valoriser les déchets issus du cacao

Les crédits forestiers étant considérés avec suspicion par les acheteurs potentiels, la Côte d’Ivoire affiche également l’intention d’investir dans des projets plus difficiles, mais mieux rémunérés. « Les secteurs à haut potentiel de crédits carbone de qualité sont l’énergie, en particulier les projets d’énergie solaire, et la gestion des déchets, détaille Yves Mariko, économiste chez Africa Energy Transition Services, une société de conseil pour les porteurs de projets décarbonés en Afrique. Sur ce dernier point, on va miser sur les projets de “landfill gas” (24 euros la tonne), avec une capture du méthane et une cogénération d’énergie, les projets de traitement des eaux usées (24 euros la tonne) et la valorisation des déchets agricoles issus du cacao et de l’anacarde en biochar (entre 115 et 143 euros la tonne). »

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Car en plus du marché volontaire du carbone entre acteurs privés, la Côte d’Ivoire entend aussi tirer partie du marché règlementé prévu par l’accord de Paris et dont les règles ont été finalisées lors de la conférence mondiale sur le climat fin 2024 à Bakou. Celui-ci doit permettre aux pays d’échanger des réductions d’émissions certifiées entre Etats . Ainsi le Ghana, par exemple, a déjà passé un accord avec la Suisse pour l’achat de crédits carbone générés par des foyers de cuisson améliorée.

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Mais tous les projets de crédits carbone n’y seront pas éligibles, et il n’est pas certain que les projets de déforestation évitée, en particulier, pourront s’inscrire sur ce marché de conformité. Les derniers détails réglés, les premières transactions devraient s’effectuer sur ce marché d’ici la COP 30 de Belém, au Brésil, en novembre.

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