Pour une capitale musicale, Goiânia est une ville très silencieuse. Aux heures chaudes de l’après-midi, la métropole de 1 million et demi d’habitants, bâtie à 1 000 kilomètres des côtes, en plein centre du Brésil, prend des airs de ville fantôme. Les voitures filent entre de vilaines tours de béton et des bâtiments Art déco défraîchis. Les piétons sont rares. De temps à autre, apparaissent de petits ibis mandore, l’œil écarlate, le plumage gris. Pas un chant ne sort de leur bec. Et pourtant, la capitale de l’Etat de Goiás est le centre de l’un des plus puissants phénomènes culturels qu’ait connus le Brésil contemporain, le sertanejo.

Littéralement, la musique du sertão, l’arrière-pays, la région reculée de l’intérieur, éloignée des côtes et vouée à l’élevage. Une country do Brasil qui a donc sa capitale, sa ­journée nationale (le 3 mai) et écrase désormais de son hégémonie les autres célèbres styles du pays : samba, bossa-nova et musique populaire… mais cultive aussi des liens sulfureux avec l’agronégoce et l’extrême droite.

D’après les données issues de Spotify, le thermomètre des hits musicaux, sept des dix artistes les plus écoutés au Brésil au cours de la dernière décennie sur la plate-forme de streaming appartiennent au sertanejo, de même que huit des plus gros succès. Les chanteurs de country locale (et de ses sous-genres) sont arrivés en tête sur le portail dans vingt-quatre Etats de la fédération (qui en compte vingt-six plus le district fédéral), en 2023, et réunissent aujourd’hui jusqu’à 16 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify, contre à peine 4,2 petits millions pour Caetano Veloso, le « dieu » du tropicalisme.

« Un truc de bouseux »

Pourtant, qui connaît en Europe Di Paullo & Paulino ? Avec 2,3 millions d’auditeurs mensuels, ce duo est presque aussi populaire que le grand Chico Buarque. A 67 et 63 ans, les deux frères à chapeau de cow-boy et chemises à fleurs sont des vieux routiers du sertanejo. Depuis leur base de Goiânia, et à bord de leur bus à double niveau, ils sillonnent le pays sur des milliers de kilomètres. « On aime jouer dans les petites villes de l’intérieur plutôt que dans les capitales », confient en chœur les compères, depuis leur studio d’enregistrement de Goiânia.

A l’unisson, Elias Antônio de Paula (alias Di Paullo) et Geraldo Aparecido de Paula (Paulino), le sont presque toujours. Les frères combinent spontanément leurs voix, obéissant à la structure classique du sertanejo qu’est la dupla, avec une première tonalité aiguë et une seconde plus grave, en retrait. « La vocation du sertanejo, c’est de consoler les enfants du sertão qui ont migré vers les grandes villes et ont la saudade [nostalgie] de leur terre natale », insiste Paulino. « Le sertanejo a longtemps été marginalisé, considéré comme un truc de bouseux », déplore Di Paullo.

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