Histoire d’une notion. Dans la panoplie des stratégies militaires, la guerre préventive tient une place singulière. Elle se fonde en effet sur une spéculation, celle d’une menace existentielle qu’il faudrait anticiper en frappant le premier afin de mieux se défendre. Cette menace n’est pas immédiate. Aucun indice tangible ne permet de penser que l’adversaire est sur le point d’attaquer. Il s’agit malgré tout de prendre les devants avant qu’il ne soit trop tard, de frapper à son heure plutôt que d’attendre celle de l’opposant.

Toute l’ambiguïté morale de cette notion réside dans ce passage à l’acte autoréalisateur, où la crainte d’un conflit à venir conduit à s’y engager. Les premières traces datent de l’Antiquité, lorsque l’historien Thucydide fait dire au général Alcibiade, dans La Guerre du Péloponnèse, que « celui qui a affaire à plus fort que lui ne se borne pas à attendre qu’on l’attaque pour se mettre en défense. Il s’efforce d’agir à temps pour prévenir l’agression ». Dans la tension entre Athènes et Sparte, c’est la crainte du déséquilibre qui mène à la guerre, la peur que l’autre ne devienne trop puissant.

Pendant longtemps, la guerre préventive est considérée comme relevant de la théorie chrétienne de la guerre juste. « D’Alberico Gentili, père du droit public international, à la fin du XVIsiècle, au théologien Francisco Suarez, au XVIIe, les auteurs importants du droit de la guerre la distinguent de la guerre de conquête, souligne la philosophe Julie Saada, autrice de Guerre juste, guerre injuste (avec Christian Nadeau, PUF, 2009). Ils considèrent qu’il serait absurde de l’interdire puisque attendre l’agression reviendrait à prendre le risque de la destruction, et donc à empêcher l’exercice du droit à la légitime défense. »

Illégale et illégitime

Le XXe siècle ouvre une nouvelle ère. Le pacte Briand-Kellogg, en 1928, par lequel 63 pays signataires s’engagent à renoncer à la guerre « comme instrument de politique nationale », et surtout la Charte des Nations unies, en 1945, marquent une rupture juridique et éthique. La diplomatie et le droit priment désormais sur le champ de bataille, qui n’est plus considéré comme un terrain légitime pour réguler les différends. L’article 51 de la Charte ne prévoit en effet que deux exceptions à l’interdiction du recours à la force : une autorisation du Conseil de sécurité pour secourir un tiers, ou le cadre de la légitime défense.

Il vous reste 55.22% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version