La quête dans laquelle s’est lancé Alen Muhic aurait pu le rendre fou, ou désespéré, ou violent. Il le sait. Rien n’a pourtant arrêté le jeune homme, là où des milliers d’autres se réfugient dans le silence. Enfant né d’un viol de guerre, Alen Muhic a choisi la confrontation avec son passé. Né le 20 février 1993 à l’hôpital de Gorazde, en Bosnie orientale, pendant la guerre, l’histoire commence, pour lui, une dizaine d’années plus tard. Le garçon vit une enfance heureuse avec son père, Muharem, sa mère, Advija, et ses sœurs aînées, Almina et Jasmila, au bord de la Drina, le fleuve qui traverse Gorazde. Il n’a aucun souvenir du terrible siège qu’a vécu la ville, encerclée et bombardée par l’armée serbe durant trois ans et demi lors du conflit de Bosnie-Herzégovine (1992-1995).

Un jour, à l’école primaire, des gamins lui lâchent : « Bâtard de tchetnik ! », du nom donné aux soldats nationalistes serbes en référence au mouvement royaliste tchetnik de la seconde guerre mondiale. Alen Muhic ne comprend pas l’insulte. On lui dit aussi : « Tu as été adopté » ou « Tu as été trouvé dans une poubelle ». Il rentre chez ses parents et pose des questions. Son père le prend sur ses genoux et lui confirme qu’il est le fils d’une femme qui, à l’hôpital de Gorazde, l’a abandonné à la naissance. « Mais je suis ton père et je t’aime comme mon enfant », dit-il. Le garçon n’ose pas questionner davantage Muharem et Advija. « J’avais peur de les perdre, peur qu’ils pensent que je veuille quitter cette famille adoptive », raconte-t-il.

En 1993, alors qu’il est ouvrier à l’hôpital de Gorazde, Muharem Muhic, sensible au sort du nourrisson, l’emmène chaque jour passer quelques heures chez lui, dans un immeuble voisin, afin qu’il reçoive un peu de chaleur humaine. C’est la guerre, le siège. Il n’y a ni nourriture, ni eau, ni électricité. Les bombardements et les tirs des snipers rythment chaque déplacement, jour et nuit. Chaque soir, il raccompagne l’enfant à la nurserie de l’hôpital.

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