La justice va dans le mur. Si les mots n’étaient pas ceux de Rémy Heitz, procureur général de la Cour de cassation, ils pourraient apparaître comme une provocation syndicale. Ils sont au contraire l’exacte description d’une dangereuse réalité.
Cette réalité, ce sont d’abord les justiciables qui la subissent, qui souffrent de délais inacceptables, qui ne sont pas assez écoutés, entendus et qui ont donc la sensation que la justice se rend sans eux alors qu’elle existe pour eux et est rendue en leur nom. La moitié des Français n’a pas confiance dans sa justice mais les deux premiers reproches qu’ils lui font sont sa lenteur et son manque de moyen. Sans le vouloir, ils visent là avec justesse la cause des maux : le manque de moyens et une de ses conséquences, la lenteur. L’abandon de longue date de la justice et, selon l’ex-garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas [2016-2017], sa « clochardisation » sont la responsabilité des gouvernants successifs. Ils sont comptables des effectifs du personnel judiciaire et des conséquences que cela entraîne pour les citoyens.
Cette réalité ce sont aussi les magistrats qui s’épuisent et n’arrivent plus à remplir leurs missions. Le nombre d’arrêts pour maladie augmente, les épuisements professionnels aussi. Le front judiciaire ne tient plus, il craque et c’est un danger majeur pour notre société démocratique fondée sur le droit. En Europe, selon le rapport 2024 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, il y a en moyenne 12,2 procureurs et 21,9 juges pour 100 000 habitants. En France, il y a 3,2 procureurs et 11,3 juges pour 100 000 habitants.
Faut-il en dire plus ? Comment relever les défis qui sont devant nous avec quatre fois moins de procureurs et deux fois moins de juges que nos voisins européens ? Comment être au rendez-vous de la lutte contre la criminalité organisée, par nature asymétrique, avec de tels moyens ? Comment rendre une justice civile, garante du « vivre-ensemble », dans des délais acceptables avec une telle pénurie ? Comment protéger efficacement les personnes vulnérables, les enfants en danger ou nos anciens ? Comment incarner à la fois un pouvoir démocratique et un arbitre social qui intervient lorsque tous les intervenants en amont, privés ou publics, ont échoué ? Comment juger les dossiers criminels qui s’accumulent sans risquer des mises en liberté d’accusés dangereux ?
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