Sergio Mendes en 2008.

Enfant de la baie de Rio, des illuminations de la modernité brésilienne révélées à la fin des années 1950 et suivantes, Sergio Mendes avait fini par déserter, happé par les Etats-Unis, comme beaucoup de ses confrères, après le mémorable concert donné en 1962 au Carnegie Hall, à New York, afin de promouvoir la bossa-nova.

La musique « cool » de Rio se transmute alors en un genre panaméricain, sous la houlette de Stan Getz et de Frank Sinatra. Sergio Mendes en élabore un son très nord-américain, très éclairé, d’une fraîcheur aérienne, qui n’était égal à aucun autre.

Le Brésil, vexé, lui tourna le dos, avant d’accoler à sa musique l’étiquette définitive, et dédaigneuse, de « pop américanisée ». Il se fixa en Californie. Le Brésil s’en passait, la France l’aimait, et tout le monde était content. « J’avais rencontré aux Etats-Unis le marché idéal, la technologie, le complément de l’inspiration romantique qui nous est naturelle », déclarait-il au Monde, lors de la sortie de son album Brasileiro, en 1992.

Depuis Brasil ’66, publié en 1966, avec lequel le Brésilien, né le 11 février 1941 à Niteroi, était devenu l’un des leaders mondiaux des ventes de disques, il avait avancé ses pions en mariant la bossa-nova avec la pop américaine, le funk et le jazz fusion. Sergio Mendes est mort le jeudi 5 septembre, des suites d’un Covid long. Il était âgé de 83 ans.

Transfuge américain

Sergio Mendes s’était installé à Los Angeles, et fut l’une des chevilles ouvrières des allers-retours entre le jazz des crooners de la fin des années 1950 (Frank Sinatra, avec qui il partit en tournée, Bing Crosby…) et la musique du cône Sud. Fils de médecin, pianiste émérite dès ses 7 ans, il enregistre en 1961 Dance moderno, qui contient une relecture de Hô-bà-lá-lá, de João Gilberto. Il fonde alors le Bossa Rio Sextet avec le saxophoniste Paulo Moura (1932-2010).

A 19 ans, il joue avec Cannonball Adderley, envoyé spécial à Rio du Département d’Etat américain, chargé des relations internationales et soucieux de l’implantation des Etats-Unis au Brésil, à l’aide du soft power culturel. Le saxophoniste l’entraîne en studio pour enregistrer Cannonball’s Bossa Nova (Concord, 1962). Les Etats-Unis agissent alors comme un aimant sur les créateurs de la bossa-nova – Tom Jobim, João Gilberto et son épouse Astrud, Marcos Valle, Eumir Deodato y feront de longs séjours.

De passage à Paris en 2015 avec sa femme, la chanteuse Gracinha Leporace, épousée il y a cinq décennies, Sergio Mendes, chemise à fleurs et bonne humeur, revenait pour nous sur ses années bossa et son statut de transfuge américain. « Etudiant au conservatoire, je venais de Niteroi [la ville qui fait face à Rio] en bateau, il n’y avait pas encore de pont à travers la baie. On jouait au Bottles Bar de Copacabana, au Beco das Garrafas, avec Tom Jobim, Jorge Ben, Nara Leão. J’avais été émerveillé par un concert de Dave Brubeck. Art Tatum, Horace Silver étaient nos professeurs sans le savoir. On ne gagnait rien, mais il y avait un tel plaisir à jouer une musique si neuve ! »

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