La voiture file sur l’avenue baignée de soleil qui traverse le quartier dortoir de Sykhiv, à Lviv. Oleksandr Matsiouk est au volant. A ses côtés, Serhiy Furman, l’œil aux aguets, observe les allées et venues des passants. Il est un peu plus de 10 heures, ce mercredi 19 juin, et les deux collègues viennent à peine de quitter le centre de recrutement pour une de leurs patrouilles quotidiennes. Leur travail consiste à arrêter des passants afin de vérifier leurs documents militaires.

Les contrôles s’enchaînent. Il suffit d’un mot ou d’un acquiescement silencieux entre eux pour que le conducteur braque soudainement le volant et que lui et son collègue sortent du véhicule pour interpeller un piéton. Les hommes arrêtés sont identifiés sur des critères très simples : bien portants, ils ont entre 25 et 60 ans, l’âge légal pour être mobilisé dans l’armée. Il arrive aussi que certains changent de trajectoire à la vue des deux agents du centre de recrutement. Cela n’échappe pas à l’œil avisé d’Oleksandr Matsiouk. Avant de partir en patrouille, ce dernier avait d’ailleurs prévenu, dans un rire amer : « Là où on passe, les rues se vident et les habitants se cachent. »

Serhiy Furman, 43 ans, contrôle les documents administratifs des citoyens, à Lviv, en Ukraine, le 19 juin 2024.

Andriy, un premier civil repéré à côté d’un arrêt de bus, se dirigeait vers son travail lorsque les deux hommes se sont arrêtés à son niveau. Officier de réserve après être sorti diplômé d’une académie militaire en 2015, il aurait dû mettre ses documents à jour. Ce qu’il n’a pas fait. Oleksandr Matisouk et son collègue lui demandent donc de les rejoindre dans la voiture. Andriy commence par refuser, arguant du non-respect de ses droits. « Vous allez m’envoyer à l’armée directement, lâche-t-il, dépité. Je le sais, tous mes amis ont été forcés. » Après de longues négociations, l’homme monte dans la voiture. Comme tous les autres, il sera envoyé devant une commission médicale qui jugera de ses capacités à prendre les armes.

« Honte pour eux »

Les deux agents recruteurs avisent ensuite un homme athlétique, la trentaine. Celui-ci vient soudainement de rebrousser chemin. Serhiy Furman sort, prêt à l’interpeller, tandis qu’Oleksandr Matsiouk opère un demi-tour en voiture afin de le suivre dans une ruelle. Après avoir jeté un discret regard derrière lui, le passant finit par s’enfuir en courant à travers une zone piétonne. Il ne sera pas poursuivi. « J’ai honte pour eux », souffle simplement Oleksandr Matsiouk, employé du centre de recrutement depuis un an après avoir été soldat dans une unité de la défense territoriale, au début de l’invasion russe de février 2022. « Certains ne comprennent pas que nous allons perdre cette guerre si nous ne nous mobilisons pas, dit-il. Nous nous battons pour l’existence de notre pays. »

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