C’est l’histoire d’une photo compromettante, restée secrète un demi-siècle. Enfin publiée en 1994, en couverture d’Une jeunesse française (Fayard), de Pierre Péan, retraçant les premiers engagements de François Mitterrand. Sur le cliché en noir et blanc, le futur président socialiste a 26 ans, les cheveux gominés, une pochette blanche pliée en triangle dans la poche de sa veste. Il écoute avec déférence le maréchal Pétain, 86 ans, qui le reçoit parmi une délégation de responsables d’un centre d’entraide aux prisonniers. La photo a été prise le 15 octobre 1942 à Vichy (Allier), où Mitterrand est resté plusieurs mois, fréquentant les milieux pétainistes, avant de se rapprocher de la résistance. Il a longtemps nié ce passé troublé, avant de le minimiser. Le cliché fait scandale. « Il est rude de découvrir que Mitterrand fut non pas seulement barrésien en littérature (…) mais aussi Croix-de-Feu en politique », condamne Lionel Jospin en 1994.
A la fin des années 1970, le journaliste Patrice Duhamel entend parler pour la première fois d’un mystérieux document mettant en cause le socialiste. A la publication du livre choc de Pierre Péan, il s’interroge : comment ce cliché explosif est-il resté si longtemps dans l’ombre ? Bien plus tard, le mystère revient le hanter, « lancinant ». Il décide alors d’enquêter, et en tire un livre captivant : La Photo (L’Observatoire, 186 pages, 21 euros).
Jetée dans la cheminée
Pendant la campagne présidentielle de 1965, alors que de Gaulle se trouve en difficulté face à Mitterrand, le ministre de l’intérieur Roger Frey – à qui la photo a été transmise par un sous-préfet, lui-même l’ayant obtenue d’un collectionneur – présente le cliché au Général : « Pourquoi ne voudriez-vous pas que sortent quelques bonnes vérités bien cachées ? » De Gaulle décline : « Que Mitterrand soit un arriviste et un impudent, je ne vous ai pas attendu pour le penser. Mais je ne ferai pas la politique des boules puantes. » A sa suite, Pompidou, Giscard et Chirac refusent d’utiliser la photo pour déstabiliser Mitterrand. Quand cette idée lui est soumise, Pompidou se met même en colère et jette la photo dans la cheminée. « Vous voyez, avec ce genre de dossier, ce qu’il faut faire », dit-il.
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