Dans son dernier livre, intitulé Il nous fallait des mythes. La Révolution et ses imaginaires. De 1789 à nos jours (Tallandier, 448 pages, 24,60 euros), l’historien Emmanuel de Waresquiel, spécialiste de l’époque moderne, ausculte les mémoires et les héritages de la Révolution française. Le professeur à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) relève, notamment, que son souvenir a été déformé et reformulé au gré des évolutions politiques et sociales du pays.
Pourquoi s’intéresser aux mythes de la Révolution française plutôt qu’aux événements eux-mêmes ?
La Révolution compte autant par ses rêves que par ce qu’elle a été. Les mémoires révolutionnaires ont façonné des générations entières. Nous en sommes, en quelque sorte, les derniers rejetons. Si l’épisode noir de Vichy [1940-1944] a poussé l’essentiel de la droite à rompre avec ses traditions contre-révolutionnaires, il n’a pas fait disparaître pour autant le clivage qui structure le pays, telle une cloison de verre, depuis près de deux siècles. Certes, tous les partis se réclament aujourd’hui de la République, mais le passé révolutionnaire continue à être vécu avec enthousiasme par les uns et méfiance par les autres.
Tout mon livre est construit sur une analyse des rapports entre histoire et mémoire. Les moments jugés fondateurs, les lieux, les symboles de la Révolution, leur sanctification ou leur rejet par les régimes successifs n’ont, le plus souvent, pas grand-chose à voir avec la perception qu’en avaient les révolutionnaires de l’époque.
Comment ces constructions mémorielles émergent-elles ?
Les mémoires de la Révolution ont été portées, en grande partie, par des institutions et des gouvernements. Il s’agit là d’une construction étatique, volontariste, voire autoritaire. Mais les mémoires finissent toujours par échapper à leurs créateurs : les individus se les réapproprient, elles deviennent de plus en plus personnelles et subjectives.
Celles de la Révolution n’ont pas seulement donné à rêver, elles ont contribué à légitimer le nouveau régime républicain. Il lui fallait des mythes. Il nous fallait des mythes. Ce qui m’a intéressé, c’est non seulement la construction de ces mythes, mais également leurs déformations progressives au gré des évolutions politiques et sociales du pays, jusqu’à nos jours.
Pensez-vous que les héritages révolutionnaires expliquent en partie les difficultés politiques actuelles ?
Oui, à maints égards. Le renversement de la souveraineté en 1789, du roi à la nation, s’est fait dans des conditions soudaines, unilatérales et brutales, nous léguant une culture politique de l’affrontement plus qu’une culture du compromis. Ce à quoi il faudrait ajouter que l’un des grands principes révolutionnaires est celui de la nation une et indivisible. Les députés réunis au Jeu de paume le 20 juin 1789 prêtent serment de ne pas se séparer avant d’avoir donné à la France une Constitution – à l’exception d’un seul opposant, Joseph Martin-Dauch, le premier « dissident » de la Révolution, qui échappera, par miracle, à la guillotine, à cause d’une erreur sur l’orthographe de son nom. L’indivisibilité et l’unanimisme empêchent de penser l’opposant autrement qu’en traître. Cela nous conduit tout droit à la Terreur. On n’aimait ni ne comprenait les minorités d’Assemblée sous la Révolution. La conflictualité actuelle du jeu parlementaire prend racine dans ce passé.
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