Après l’actualité nuageuse de ces dernières semaines, le temps insouciant des petites salades tomate-mozzarella-basilic dégustées dans la douceur des soirs d’été semble enfin revenir. Une fameuse invention, cette salade, dont la réussite dépend beaucoup de la qualité de ses ingrédients, et tout particulièrement de la mozzarella choisie pour la confectionner. Or, pauvres mozzarellistes transalpins ! Il n’a pas été possible pour les authentiques producteurs de mozzarella italienne au lait de bufflonne de protéger l’appellation, de sorte que le monde est inondé par les mozzarellas industrielles d’inspiration américaine, matière culinaire du troisième type, d’autant plus surprenante qu’elle n’a aucun goût.

Pour la cuisine, l’affaire est entendue… Pour la physique, en revanche – et en particulier la rhéologie, qui étudie la déformation des matériaux –, cette mozzarella industrielle semble intéresser les chercheurs : calibrée, infiniment reproductible, homogène, elle se prête à l’expérimentation et à l’énonciation de vérités scientifiques irréfragables. Ainsi, dans un article de 2007 de la revue International Dairy Journal, deux chercheurs de Vancouver (Canada) sont-ils allés au supermarché du coin acheter de la mozzarella canadienne à plusieurs reprises pour la soumettre à toute une batterie de tests mécaniques. Conclusion ? La mozzarella devient un vrai liquide à 60 °C, en deçà de cette température elle est un semi-solide viscoélastoplastique, c’est-à-dire capable de couler si on le soumet à une contrainte suffisante.

Ce comportement complexe est la conséquence d’une architecture supramoléculaire subtile, les micelles de caséine (sphères plus petites qu’un millième de millimètre, dont la structure précise est encore l’objet de débats) coagulées par la présure pour former un agrégat poreux, macroscopique et solide, qui, dans certaines conditions d’acidité, devient en plus très déformable. Le processus de fabrication utilise cette grande élasticité et travaille le caillé à 80-90 ºC pour en produire une « pâte filée » qui atterrit dans nos assiettes. La mozzarella est ainsi l’exemple typique de ce que les physiciens appellent une « matière molle », quand des structures supramoléculaires auto-organisées et complexes dotent le matériau macroscopique de propriétés atypiques.

Une approche culturelle

La littérature scientifique sur le fromage est aussi intéressante au regard des motivations avancées par les scientifiques de ce domaine. Pour ce qui est des mesures mécaniques, ils travaillent à trouver des contrôles qualité simples et non invasifs, capables de suivre la maturation des fromages (rien d’autre, au fond, qu’une version modernisée de notre pouce qui au supermarché palpe discrètement le camembert pour éviter d’acheter du plâtre) ou de détecter la fraude, si par exemple une mozzarella de bufflonne est coupée avec du lait de vache. Dans un article de synthèse cosigné en 2008 par un spécialiste néo-zélandais du domaine, on peut sentir également une approche culturelle du fromage qui ne laissera pas le lecteur français ou italien indifférent : y sont valorisées les recherches capables d’allonger la date de péremption des produits, d’assurer leur reproductibilité parfaite à travers les saisons et, pour ce qui est de la mozzarella, de travailler sur sa texture et sa tenue au four, car « le fromage à pizza est fabriqué pour ses propriétés fonctionnelles plus que pour son goût ». Ah, tiens donc…

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